Le cannabis à visée thérapeutique : travaux du CSST et de l’ANSM
Projet de cadre de la phase expérimentale
Direction des médicaments de neurologie-psychiatrie-antalgie-stupéfiants
Nathalie Richard
Respadd
21 juin 2019
Le cannabis à visée thérapeutique : travaux du CSST et de l’ANSM
Nathalie Richard
Directrice adjointe ANSM
Nathalie RICHARD rappelle que toutes les opérations qui concernent le cannabis sont interdites en France – la production, la détention, l’acquisition et l’utilisation. Des dérogations sont cependant possibles. La première dérogation est liée à une utilisation du cannabis à des fins de recherches. Ainsi, les essais thérapeutiques avec le cannabis possibles en France, sur dérogation du Directeur Général de l’ANSM. L’utilisation de médicaments contenant du cannabis est également autorisée, mais uniquement s’ils ont obtenu une autorisation de mise sur le marché en France ou au niveau européen. C’est le cas du Sativex mais qui n’est toujours pas commercialisé.
Certains médicaments sont prescrits dans un cadre d’ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation). C’est le cas de l’Epidiolex, médicament à basse de CBD, qui a reçu une AMM aux États-Unis et qui fait actuellement l’objet d’une procédure d’AMM au niveau européen. La troisième possibilité de dérogation concerne l’utilisation à des fins industrielles. Dans ce cas, des variétés sont inscrites sur une liste particulière. Elles ne doivent pas contenir plus de 0,2 % de THC.
Nathalie RICHARD expose la démarche mise en place à l’ANSM. Un groupe de travail, le CSST (Comité Scientifique Spécialisé Temporaire) sur le cannabis thérapeutique, a été créé en septembre 2018 et les séances ont débuté en octobre. Plusieurs raisons ont justifié cette démarche : l’usage du cannabis avec finalité thérapeutique est déjà une réalité en France avec notamment un usage croissant du cannabis riche en CBD pour des enfants, dans le cadre d’ épilepsies réfractaires. Par ailleurs, les autorités politiques sont de plus en plus sollicitées par des acteurs du monde médical, politique et économique. Enfin, le député Olivier VERAN a lancé une audition à l’Assemblée nationale l’an dernier.
La démarche mise en place par l’ANSM est également justifiée par le fait a que le cannabis thérapeutique est mis en place dans de nombreux pays, parfois même depuis 2001. La création du groupe de travail a également été motivée par la nécessité de mieux accompagner les patients pour réduire les risques liés à l’usage du cannabis à visée thérapeutique.
Il s’est avéré ainsi nécessaire de traiter cette question, indépendamment de celle de l’usage récréatif du cannabis.
Le groupe de travail est hébergé par l’ANSM, l’autorité française compétente pour les médicaments, mais aussi pour les stupéfiants et les psychotropes. L’ANSM est l’organisme national désigné par l’ONU pour contrôler les stupéfiants.
Nathalie RICHARD indique que le CSST a été créé le 10 septembre 2018 pour un an. Il est composé de 13 membres, essentiellement des médecins – des généralistes, un psychiatre, un oncologue, un neurologue, un thérapeute, un médecin spécialiste dans les douleurs et les soins palliatifs- une sociologue, un spécialiste en éthique médicale, des associations d’usagers du système de santé, la Ligue Nationale contre le Cancer, l’Association Francophone pour Vaincre les Douleurs, TRT-5 et l’Union pour la Lutte contre la sclérose en plaques.
Les missions de ce CSST, telles qu’elles ont été définies par le Directeur Général de l’ANSM, sont les suivantes :
• évaluer la pertinence de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France, c’est-à-dire l’intérêt dans le traitement de certaines pathologies ou de certaines situations cliniques ;
• si cette pertinence est retenue, proposer un cadre pour sa mise à disposition.
Les travaux du CSST portent sur la plante de cannabis. Ils ne portent pas sur les médicaments avec AMM ou sous ATU.
Nathalie RICHARD précise que le CSST s’est réuni à 3 reprises pour la première partie de ses travaux. La démarche était la suivante : une revue de la littérature a été effectuée par les sociétés savantes les plus concernées pour les indications potentiellement retenues pour le cannabis à visée thérapeutique – SFETD, SFN, Ligue française contre l’épilepsie, Société francophone de la Sclérose en plaque, etc.
Les ordres des pharmaciens et des médecins ainsi que les académies de médecine et de pharmacie ont été auditionnés, tout comme d’autres professionnels de santé – le collège de médecine générale, la Fédération Française d’addictologie et la Fédération Addiction -, des associations de patients liées aux pathologies a priori concernées par le cannabis thérapeutique (Épilepsie France, France Parkinson, etc.) et NORML.
Au cours des travaux l’OFDT a présenté un état l’état des lieux de la consommation du cannabis récréatif en France, les réseaux d’addictovigilance et de toxicovigilance les risques liés à l’utilisation du cannabis. L’Observatoire européen des drogues et toxicomanies a également été entendu. L’ANSM a envoyé un questionnaire à l’ensemble de ses homologues européens pour connaître l’état des lieux de l’utilisation du cannabis thérapeutique dans les différents pays. Des représentants du Canada, de l’Allemagne et de la Suisse ont également été auditionnés.
Les conclusions de cette première partie des travaux du CSST ont pointé le manque d’études contrôlées et rigoureuses pour évaluer formellement l’efficacité du cannabis thérapeutique. Cependant, au vu des différents éléments présentés (littérature et expériences des différents pays) le CSST a indiqué que, pour certaines pathologies ou certains symptômes, un certain niveau de preuves pouvait être avancé. Par ailleurs, une forte attente des professionnels de santé et des patients a été constatée au cours des différentes auditions.
Le Comité a donc estimé qu’il était pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique dans certaines situations cliniques, en cas de soulagement insuffisant ou d’une mauvaise tolérance des thérapeutiques accessibles. Le CSST a proposé de mettre en place un suivi des patients et un suivi des risques par réseaux de vigilance ; il a relevé la nécessité de modifier la législation ou la réglementation sur le cannabis. Par ailleurs, le CSST a d’emblée exclu la voie fumée.
Les situations thérapeutiques retenues par les experts pour l’usage du cannabis sont les suivantes :
• les douleurs réfractaires aux thérapies accessibles ;
• certaines formes d’épilepsies sévères et pharmacorésistantes ;
• les soins de support en oncologie ;
• les situations palliatives ;
• la spasticité douloureuse de la SEP ou des autres pathologies du système nerveux central.
Nathalie RICHARD indique que le CSST a rendu son avis au Directeur Général de l’ANSM. Ce dernier a suivi l’avis du CSST sur les indications proposées, demandé la poursuite des travaux du CSST et a souhaité qu’uneune expérimentation soit mise en place dans un premier temps. Celle-ci vise à tester le cadre proposé en situation réelle et permettra de recueillir les premières données françaises sur l’efficacité et la sécurité du cannabis à usage thérapeutique.
Le CSST s’est ensuite réuni à nouveau à 3 reprises depuis janvier 2019. De nouvelles auditions ont été menées auprès des sociétés savantes concernées par les indications proposées, ainsi que des ordres des médecins et des pharmaciens, qui ont été invités à présenter leur position sur les rôles des prescripteurs et des dispensateurs pendant la phase expérimentale. Les autorités allemandes, hollandaises et israéliennes ont présenté leur modèle national. Des acteurs économiques de la filière de production étrangère ont également été entendus
Le CSST a ensuite proposé un cadre pour la phase expérimentale. Cette proposition a été rendue publique il y a quelques jours. Elle a été envoyée à l’ensemble des parties prenantes (associations de patients et professionnels de santé) qui, le 26 juin, exposeront leur avis sur les modalités de cette phase expérimentale.
La proposition de cadre implique :
• la mise à disposition de préparations de cannabis ou d’extraits à spectre complet, avec des formes à libération immédiate et des formes à libération prolongée, 5 ratios en THC et CND étant proposés ;
• la sécurisation des prescriptions via l’initiation par des médecins spécialistes volontaires dans des centres de référence, avec un relais possible par des généralistes, la formation obligatoire et préalable des médecins prescripteurs et la tenue d’un registre exhaustif (qui sécurisera également la délivrance) ;
• la sécurisation de la délivrance en pharmacie hospitalière puis en officine (uniquement si le registre est renseigné) ;
• la sécurisation du suivi de tous les patients (via le registre).
Nathalie RICHARD précise que la prochaine étape des travaux aura lieu le 26 juin. Outre la discussion du cadre avec les parties prenantes, elle sera consacrée à l’audition des potentiels acteurs économiques français ainsi qu’à la validation du projet. L’avis du Directeur général de l’ANSM constituera l’étape suivante. Un certain nombre d’étapes seront ensuite nécessaires avant la mise en place effective de la mise à disposition par le biais de l’expérimentation (calendrier, choix des patients, nombre de patients, contenu des formations, choix des produits, modifications réglementaires et financement).