Rhumatismes : l’efficacité du cannabis sur la douleur reste à démontrer
Une vieille molécule au mode d’action découvert récemment
Alors que New York vient de légaliser l’usage thérapeutique de la marijuana, devenant ainsi le 23ème état américain à autoriser le cannabis « médical », la question d’un assouplissement de la législation revient régulièrement à la une de ce côté-ci de l’Atlantique [3,4,5]. Si l’intérêt pour les vertus apaisantes de Cannabis sativa n’est pas nouveau – son utilisation est attestée en Chinedepuis au moins 2700 avant JC-, la découverte de ses effets analgésique et antispasmodique par des chercheurs anglais remonte à 1839. Quant à l’existence de deux récepteurs, CB1 et CB2 pouvant interagir avec les substances cannabinoïdes, elle n’a été établit que dans les années 90. Ces deux récepteurs témoignent de la présence d’un système cannabinoïde dans le corps humain ( impliqué dans une panoplie de phénomènes cérébraux, physiologiques et pathologiques) pouvant reconnaitre les substances cannabinoïdes endogènes mais aussi celles contenues dans Cannabis sativa (70 répertoriées à ce jour), et en particulier le THC, dont les effets psychoactifs sont à l’origine de l’usage récréatif du cannabis, et le cannabidiol.
Autorisation dans un cadre thérapeutiqueDe nombreux pays et états autorisent l’utilisation thérapeutique du cannabis, sous forme de médicaments : Allemagne, Belgique, Suisse, Israël et plusieurs états des Etats-Unis ou du Canada. En France , un seul médicament dérivé du cannabis, le Sativex, est autorisé. Il devrait arriver sur le marché en 2015 à destination de certains patients souffrant de sclérose en plaques. |
Peu d’études et beaucoup d’incertitudes sur les effets indésirables
Si l’efficacité des cannabinoïdes pour le traitement de certaines douleurs chroniques, comme celles liées au cancer ou aux maladies neuropathiques, est démontrée, s’il est admis que la douleur rhumatologique affecte énormément la qualité de vie et qu’elle n’est que modérément soulagée (30%) par les traitements disponibles, quid de l’usage thérapeutique du cannabis « fumé » en rhumatologie ? La réponse du Dr Mary-Ann Fitzcharles est claire : « à ce jour, aucune étude formelle n’a établi l’efficacité ou les effets indésirables de la marijuana dans les pathologies rhumatologiques. En outre, « les mécanismes de la douleur empruntent des voies différentes par rapport au cancer ou aux douleurs neuropathiques » rendant inappropriée toute extension de l’efficacité du cannabis d’une situation pathologique à une autre.
Son avis s’appuie sur le fait que les études réalisées sur les effets des cannabinoïdes dans les maladies rhumatismales sont « anecdotiques » [2] car très peu nombreuses (5 dans la fibromyalgie, 1 dans la polyarthrite rhumatoïde) et portant sur peu de patients. De plus, leurs conclusions – n’allant pas toujours dans le même sens – sont difficilement interprétables au vu des protocoles utilisés (cannabinoïdes de synthèse, autoquestionnaire, usage récréatif du cannabis,…).
En outre, beaucoup d’interrogations sur le dosage et les effets indésirables aigus et chroniques du cannabis dans sa forme « herbale » persistent encore. Le Dr Fitzcharles.a évoqué la concentration élevée d’hydrocarbures aromatiques polycycliques et de goudron dans la fumée de cannabis, la concentration variable de THC dans l’herbe achetée dans la rue, allant de 1 à 30 %, et ayant tendance à augmenter. Enfin, les risques associés à la prise de cannabis sont, quant à eux, bien démontrés : effets cardiovasculaires (tachycardie et hypotension), cognitifs et psycho-moteurs, troubles de l’humeur et addiction.
Au final, le Dr Fitzcharles et les auteurs de l’étude considèrent que les professionnels de santé devraient dissuader leur patient de fumer des « joints » pour soulager les douleurs rhumatismales, au vu de données d’efficacité et de sécurité insuffisantes. Ils ne tournent pas pour autant le dos aux cannabinoïdes et plaident pour des études supplémentaires dans ce domaine, sur la base de protocoles scientifiques.
Le cas du CanadaLa question de l’usage de cannabis thérapeutique en rhumatologie est d’autant plus pertinente au Canada que la marijuana à des fins médicales est autorisée. Il n’est pas rare que les professionnels de santé soient soumis à la « pression » des patients ou à des questions auxquelles ils leur est difficile de faire face par manque d’informations sur le domaine, indiquent les auteurs de l’étude [2]. Ils mentionnent d’ailleurs une enquête qui a montré que deux tiers des médecins rhumatologues canadiens interrogés n’étaient pas très confiants dans leurs connaissances sur l’usage thérapeutique des cannabinoïdes. De même, ils rappellent que la prescription de cannabis thérapeutique soulève des questions d’éthique et de responsabilité médicale. Au Canada, il est demandé aux médecins de fournir un document équivalent à une ordonnance stipulant le dosage, la fréquence et la durée du « traitement ». |
REFERENCES :
- FitzcharlesMA. Cannabinoids for the treatment of chronic pain. Session : Analgesics for rheumatic diseases: re-thinking old drugs. Congrès de l’EULAR. Paris, 12 juin 2014.
- FitzcharlesMA, ClauwDJ, Ste-Marie PA et Shir Y. The Dilemma of Medical Marijuana Use by Rheumatology Patients. Arthritis Care & Research, Volume 66, Issue 6, pages 797–801, June 2014.
- McKinley J. New York senate passes bill on medical marijuana. NYT, 20 juin 2014.
- Condamné mais dispensé de peine pour usage de cannabis thérapeutique, Libération, 16 juin 2014 .
- « ‘We were out of medical options” : why one family decided to give marijuana to their son – video. The Guardian, 25 juin 2014.