De la découverte des champignons à psilocybine à la renaissance psychédélique, Vincent Verroust, 2018

De la découverte des champignons à psilocybine à la renaissance psychédélique

Vincent Verroust

Actes du colloque «Sacré végétal – Metz, 8 septembre 2018»

Ethnopharmacologia, 2019, n°61, 8-17.

 

Résumé

Les substances psychédéliques sont des molécules psychoactives dont les propriétés psychiques n’ont été découvertes et investiguées que relativement récemment dans l’histoire des sciences biomédicales. Nous retracerons l’histoire de la découverte des champignons divinatoires du Mexique et des recherches thérapeutiques qu’elle a suscitées, depuis les années 1950, avec les observations ethnographiques et les collectes des époux Wasson, jusqu’à la « renaissance psychédélique », qui caractérise ces deux dernières décennies marquées par le regain d’intérêt porté à ces substances malgré leur prohibition dans les années 1960. Les effets psychiques des molécules psychédéliques semblent en effet non seulement constituer un espoir dans le domaine de la thérapeutique psychiatrique, mais également offrir des perspectives en matière de changement socio-politique.

INTRODUCTION

Cette publication se veut une contribution à l’histoire de la constitution des études psychédéliques, ou psychedelic studies. Le thème est d’actualité dans la mesure où les milieux de la recherche en santé mentale connaissent de nos jours une certaine effervescence s’amplifiant depuis une quinzaine d’années environ, au fur et à mesure que croît l’intérêt scientifique pour l’usage de substances psychédéliques1 à des fins psychothérapeutiques. La tenue en octobre 2018 du Colloquium on Psychedelic Psychiatry (Stockholm) (http://cpp2018.se/) colloque international spécifiquement dédié à ce sujet et le panel consacré à ces substances lors du colloque de l’Encéphale, en janvier 2019 à Paris (https://www.encephale.com/Congres/Congres-de-l- Encephale-2019-17e-edition), entre autres événements académiques, en témoignent. L’accumulation de publications portant essentiellement sur des protocoles d’administration de psilocybine, principe actif des champignons hallucinogènes, à des patients ou à des volontaires sains, fait grandir l’espoir de trouver de nouveaux traitements qui trouve son origine dans l’étude ethnologique des usages amérindiens de ces espèces menée dans les années 1950 au Mexique.

UNE PROBLÉMATIQUE PLUS ÉPISTÉMOLOGIQUE QU’ETHNOPHARMACOLOGIQUE

En ce sens, évoquer ce sujet passionnant au sein de ce colloque d’ethnopharmacologie semble apparemment logique, si l’on se réfère à la définition de l’ethnopharmacologie proposée par la SFE, à savoir qu’elle consiste en « l’étude scientifique interdisciplinaire de l’ensemble des matières d’origine végétale, animale ou minérale, et des savoirs ou des pratiques s’y rattachant, mises en oeuvre par les cultures traditionnelles pour modifier l’état des organismes vivants, à des fins thérapeutiques, curatives, préventives ou diagnostiques.»2 L’usage des champignons à psilocybine par des curanderos ou des curanderas amérindien•ne•s au Mexique a en effet précédé l’usage de cette substance en milieu hospitalier.

Toutefois, l’usage amérindien des champignons à psilocybine au moment de sa redécouverte au 20ème siècle consiste surtout, comme on le verra, en un usage divinatoire par un ou une spécialiste, sorte de devin ou de devineresse (Heim et Wasson, 1958). Or, si cet usage poursuit le plus souvent un but de diagnostic, il n’en relève pas moins d’une pratique absolument dissemblable à l’administration thérapeutique d’une substance psychoactive. C’est pourquoi l’évaluation en laboratoire de la pratique « traditionnelle » devrait donc revenir à l’évaluation de la justesse du diagnostic divinatoire sous l’emprise de psilocybine ! Sans pour autant préjuger de la validité des recherches en matière de « cognition anomale » et de « psychédélomancie »3, sujets passionnants par ailleurs mais qui ne relèvent pas de notre propos ici, cette étape d’évaluation aurait pour notre cas d’autant moins de sens que les étiologies
amérindiennes de l’aire culturelle mésoaméricaine diffèrent profondément de l’étiologie propre au système de pensée biomédical, ce qui s’impose comme une évidence à l’anthropologue soucieux de penser les pratiques dans leurs cadres ontologiques idiosyncrasiques.

C’est donc résolument dans une perspective d’histoire des sciences et d’épistémologie qu’il faut accueillir cette publication : il s’agit de retracer la chronologie des faits attestés par des sources fiables et authentiques, partant de la découverte par des savants européens d’espèces de champignons psychoactifs au Mexique, jusqu’à la création de savoirs et de savoir-faire, en France et dans quelques autres pays du monde post-industriel, thérapeutiques, récréatifs et même spirituels ou religieux. L’hypothèse en filigrane est que la psychopharmacologie spécifique de la psilocybine agirait sur des phénomènes socio-culturels, suggérant le caractère heuristique de la comparaison, entre sociétés éloignées, des manières de faire avec une même substance. Ceci conduira à présenter quelques recherches médicales récentes porteuses d’espoir pour le traitement de pathologies telles que la dépression, l’anxiété, l’addiction, ou les soins palliatifs (Carhart-Harris and Goodwin, 2017). Enfin, je suggérerai les perspectives d’ordre socio-politique offertes par la prise en compte des effets sociaux des psychédéliques.

(…)

 

ETHNOPHARM 61 Verroust def (1) (1)