Salvia divinorum, EMCDDA, 2010

Salvia divinorum

EMCDDA, 2010.

http://www.emcdda.europa.eu/publications/drug-profiles/salvia/fr

La plante psychotrope Salvia divinorum, ou «Sauge des devins», est un membre rare de la famille des menthes (Lamiaceae; anciennement Labiatae), qui a été caractérisée au milieu du vingtième siècle. La plante est endémique d’une petite région montagneuse de l’État d’Oaxaca (Mexique), où les Indiens mazatèques ingèrent ses feuilles fraîches ou des préparations à base de feuilles lors de rituels divinatoires, de rites de guérison ou à des fins médicales. Depuis la fin des années 1990, l’utilisation de la plante comme hallucinogène végétal «légal» a augmenté, en partie du fait de sa disponibilité. Fumer les feuilles séchées et broyées fournit des hallucinations de courte durée mais intenses. La dose efficace de salvinorine A, le principe actif de la plante, est comparable à celle des hallucinogènes synthétiques LSD ou DOB. La toxicité de Salvia divinorum n’est pas suffisamment connue.

Chimie

L’identification chimique du principe psychoactif de Salvia divinorum a été faite simultanément par Ortega et Valdés au début des années 1980. Le principal composant responsable de l’effet psychoactif de la plante est un diterpène de la famille des néoclérodanes appelé salvinorine A. La dénomination systématique selon l’UICPA est ester méthylique de l’acide (2S,4aR,6aR,7R,9S,10aS,10bR)-9-(acétyloxy)-2-(3-furanyl)dodécahydro-6a,10b-diméthyl-4,10-dioxo-2H-naphto[2,1-c]pyran-7-carboxylique (numéro CAS: 83729-01-5). Contrairement aux hallucinogènes classiques naturels ou synthétiques, la salvinorine A ne contient pas d’atome d’azote — ce n’est pas un alcaloïde.

Les feuilles séchées, les extraits de feuille et la salvinorine A pure sont stables à température ambiante en l’absence de lumière ou d’air, bien qu’il n’existe pas d’étude systématique à ce sujet. La salvinorine A est instable dans les solutions basiques et est soluble dans les solvants organiques conventionnels, à savoir l’acétone, l’acétonitrile, le chloroforme, le diméthylsulfoxyde et le méthanol, mais elle est essentiellement insoluble dans l’hexane et l’eau.

Structure moléculaire de la salvinorine A

Formule moléculaire: C23H28O8
Poids moléculaire: 432.47 g/mol

Forme physique

Salvia divinorum est une herbe arbustive vivace qui peut atteindre 0,5 à 1,5 mètre. Elle peut être aisément identifiée par ses tiges rectangulaires et creuses et des paires opposées de feuilles ovales ou lanciformes, dentelées, qui sont généralement veloutées ou velues. La fleur caractéristique de la plante a une corolle blanche ornée d’un calice bleu-violet. Salvia divinorum produit rarement des graines, et les rares graines produites ne sont pas souvent viables. La propagation de la plante est ainsi exclusivement végétative et la plupart des plantes Salvia divinorum actuellement cultivées dans le monde entier sont des clones d’un petit nombre de collections d’Oaxaca précédemment accumulées.

Les feuilles séchées et broyées enrichies avec des extraits d’autres feuilles sont vert foncé, brunâtre ou même vert tirant sur le noir, du fait de la présence de pigments concentrés.

La salvinorine A pure forme des cristaux incolores ayant un point de fusion de 242-244 °C.

Pharmacologie

La salvinorine A présente un mode d’action et une pharmacologie uniques. Elle exerce une activité d’agoniste complet puissante et sélective au niveau des sous-types de récepteurs opioïdes kappa (KOR). Celle-ci est essentiellement responsable de l’effet hallucinogène de la drogue. Les hallucinogènes «classiques» tels que la psilocybine, le LSD ou le DOB, qui sont tous de nature alcaloïde, quant à eux, interagissent avec les sous-types de récepteurs de la sérotonine. Aucune liaison notable n’est observée entre la salvinorine A et plus de 50 autres récepteurs importants sur le plan (psycho)pharmacologique, protéines transporteurs et canaux ioniques.

Chez les humains, la salvinorine A induit des hallucinations profondes de courte durée. L’inhalation de doses équivalentes à 200 à 500 microgrammes de salvinorine A conduit à une perte de contrôle des mouvements physiques (incapacité); un fou rire; des hallucinations vives, colorées et souvent bizarres, s’apparentant à un rêve ou à un film. Les frontières temporelles entre passé, présent et futur disparaissent et l’utilisateur est transporté dans une dimension temporelle et spatiale alternative (dislocation spatio-temporelle) avec l’impression d’être en plusieurs endroits en même temps. Le «trip», en particulier à des doses plus élevées, peut être effrayant et peut causer des troubles psychotiques graves. Il a été signalé que cela peut durer plusieurs heures après que les hallucinations aient disparu. Les effets secondaires courants comprennent une fatigue, des vertiges et une amnésie. Des rapports des services d’urgences ont décrit une psychose persistante chez des individus vulnérables.

Des études expérimentales préliminaires menées par Mowry et al. (2003) ont montré que la salvinorine A présentait une toxicité relativement faible pour les rongeurs. Cependant, aucune autre étude n’a examiné l’effet physiologique toxique aigu ou chronique des feuilles ou des divers extraits de Salvia divinorum.

Origine

Du fait que les graines de Salvia divinorum sont difficiles à obtenir, la plante est propagée par bouturage. Les jeunes plants ainsi que les feuilles séchées sont faciles à obtenir sur l’Internet ou dans des boutiques spécialisées dans les pays où il n’existe pas de restrictions réglementaires. La culture domestique des plantes est possible et des instructions décrivant les conditions de culture optimales, l’utilisation d’engrais et de pesticides chimiques sont disponibles sur l’Internet dans plusieurs langues.

On trouve la salvinorine A dans la résine secrétée par des cellules épidermiques velues spéciales (trichomes), qui sont particulièrement abondantes sur les feuilles. Des préparations constituées d’une feuille enrichie par des extraits de 4 à 49 autres feuilles (les produits respectifs sont ainsi appelés extraits 5X à 50X) sont également disponibles en ligne et dans des boutiques spécialisées. Cependant, la concentration réelle en salvinorine A dans les produits de Salvia divinorum est généralement inconnue. La salvinorine A sous forme pure et cristalline ne semble pas être offerte sur le marché (ni en ligne ni dans les smartshops) mais des procédures illustrées d’isolation sont disponibles sur l’Internet.

Des synthèses chimiques totales de salvinorine A ont été récemment réalisées mais elles sont trop complexes pour être utilisées pour la production de la substance.

À ce jour, la salvinorine A n’a été décelée dans aucune autre espèce de Salvia analysée.

Mode de consommation

Traditionnellement, les Indiens mazatèques roulent les feuilles fraîches de la plante en une chique ayant la forme d’un cigare, qui est ensuite sucée ou mâchée sans en avaler le jus pour augmenter l’absorption du composant actif.

Le feuillage frais peut également être broyé manuellement ou à l’aide d’une pierre à moudre et peut être utilisé pour préparer une infusion. Au moins six feuilles sont nécessaires pour obtenir un effet perceptible, qui se manifeste après environ 10 minutes et dure 45 minutes ou plus.

Pour un usage récréatif, le mode d’administration le plus courant est de fumer les feuilles séchées broyées à la pipe ou en utilisant une pipe à eau/bang, provoquant en une minute des hallucinations de courte durée (15 à 20 minutes). En général, une quantité de 0,25 à 0,75 gramme de feuille est fumée.

Un effet plus durable est obtenu en mâchant les feuilles amères sous forme d’une chique et les doses typiques pour produire des effets légers à modérés sont de 10 à 30 grammes de feuilles fraîches ou 2 à 5 grammes de feuilles séchées.

Une application sublinguale de teintures à base d’éthanol aqueux préparées à partir de feuilles conduit à un effet qui débute après 5 à 10 minutes et qui peut durer jusqu’à 2 heures.

Une infusion obtenue en faisant tremper des feuilles dans de l’eau chaude est relativement inefficace car la salvinorine A se dégrade facilement dans l’appareil gastro-intestinal. La vaporisation de feuilles séchées ou d’extraits sans les brûler nécessite un appareillage spécial et des températures assez élevées (> 200° C) et n’est pas une méthode d’utilisation habituelle.

L’inhalation de vapeurs de salvinorine A pure comporte des risques importants pour la santé car la quantité inhalée ne peut pas être maîtrisée. Cette dernière méthode peut conduire à une «surdose», qui se manifeste sous la forme de troubles psychotiques.

Autres dénominations

Au Mexique, la plante est nommée en espagnol «hojas de la pastora» ou «ska María pastora». Les noms couramment employés dans la langue anglaise sont: Diviner’s Sage, Lady Salvia, Magic Mint, Purple Sticky, Sally D, Sage of the Seers ou simplement et le plus souvent Salvia. D’autres noms dans d’autres langues européennes sont: en français — sauge des devins, sauge divinatoire; en allemand — Wahrsagersalbei.

Analyse

La teneur en salvinorine A d’échantillons botaniques peut être analysée par chromatographie sur couche mince ou par chromatographie liquide haute performance avec détection d’UV. La détection et la quantification de la salvinorine A dans le sang, l’urine et la salive de l’ordre du nanogramme/ml nécessite des méthodes plus sensibles telles que la chromatographie gazeuse ou la chromatographie liquide haute performance couplées à un spectromètre de masse. Le spectre de masse obtenu par ionisation électronique de la salvinorine A présente des fragments significatifs à m/z 94, 55, 121, 107, 273, 166, 220, 252, 234, 359, 318, 404 et 432 (par ordre décroissant d’abondance).

Le spectre UV d’une solution méthanolique de salvinorine A présente un maximum à 211 nm. Les bandes d’absorption caractéristiques du spectre infrarouge de la salvinorine A dispersée dans une pastille de KBr sont observées à 3 220, 1 745, 1 735, 1 240, et 875 cm-1.
Lorsque l’identification de la matière végétale sous forme de poudre est impossible, des méthodes d’empreinte ADN peuvent être utilisées.

La salvinorine A et les autres diterpénoïdes de la plante ne sont pas détectés par les méthodes conventionnelles de dépistage de drogues.

Pureté typique

La composition chimique des feuilles de Salvia divinorum dépend du stade de développement de la plante et/ou du type de préparation. Des études systématiques de plantes de différentes collections montrent que la concentration en salvinorine A dans les plantes adultes est comprise entre 0,89 et 3,7 mg/g de feuilles séchées (correspondant à une moyenne de 0,245 %).

Les résultats d’analyses récentes de Salvia divinorum, sur cinq échantillons obtenus sur l’Internet ou dans des «head shops» aux États-Unis ont révélé de grandes différences dans les concentrations en salvinorine A. Dans les feuilles séchées (enrichissement nominal 1X, «X» faisant référence au nombre de fois la puissance de l’extrait par rapport à la feuille) la concentration du composant psychoactif était de 0,408 mg/g, alors que pour les extraits enrichis 5X (deux échantillons), 10X et 20X, les concentrations en salvinorine A étaient, respectivement, de 0,126/1,137, 0,951 et 0,461 mg/g, ce qui laisse supposer que l’étiquetage ne correspondait pas à la teneur réelle.

L’étude des échantillons a également révélé que certains contenaient de la vitamine E et de la caféine en tant qu’adultérants.

Une analyse récente d’échantillons vendus au Japon a révélé des concentrations en salvinorine A comprises entre 3,2 et 5,0 mg/g pour des feuilles séchées, et entre 4,1 et 38,9 mg/g pour des préparations enrichies 2X à 25X.

Contrôle

Salvia divinorum et la salvinorine A ne figurent dans aucune des listes des Conventions des Nations unies sur les drogues.

Cependant, ces dernières années Salvia divinorum et son principe actif, la salvinorine A ont commencé à faire l’objet d’une surveillance dans le cadre de la législation sur les drogues en Belgique, au Danemark, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, en Roumanie et en Suède, en Australie et au Japon ainsi que dans plusieurs états des États-Unis.

Seuls la Croatie, l’Allemagne, la Pologne et l’Espagne ont placé cette plante sous contrôle. En Estonie, Finlande et Norvège, Salvia divinorum relève de la législation sur les médicaments. Enfin, la vente de Salvia sans autorisation est illégale au Canada, conformément au règlement sur les produits de santé naturels.

Prévalence

Dans les pays européens, les informations sur l’étendue de l’usage de Salvia divinorum et de ses préparations sont limitées.

En Roumanie, une enquête de 2008 auprès de jeunes gens vivant à Budapest âgés de 15 à 34 ans qui fréquentent des lieux récréatifs, a montré que 0,3 % d’entre aux avaient essayé Salvia divinorum au moins une fois dans leur vie.

Dans une enquête en ligne effectuée fin 2009 auprès de personnes fréquentant des discothèques au Royaume-Uni, 3,2 % des répondants admettent qu’ils ont consommé Salvia divinorum dans le mois précédent, ce qui la classe au quinzième rang des drogues les plus couramment utilisées à cette fréquence. La prévalence au cours de la vie atteint 29,2 %. Ces observations ne peuvent cependant pas être considérées comme étant représentatives de l’ensemble de la population des personnes fréquentant les discothèques, du fait des limitations méthodologiques des enquêtes en ligne.

Aux États-Unis, l’enquête nationale annuelle sur l’usage de drogues et la santé (National Survey on Drug Use and Health) réalisée en 2006 indique que la consommation sur les 12 derniers mois de Salvia divinorum était de 0,3 % chez les personnes âgées de 12 ans ou plus; au total environ 1,8 million de personnes admettent avoir déjà consommé cette drogue.

D’après le récent rapport intitulé «Monitoring the Future» de l’Institut national sur l’abus de drogues (National Institute on Drug Abuse), en 2009, la prévalence de Salvia divinorum au cours de l’année écoulée était de 6,0 % parmi les étudiants du niveau secondaire supérieur (ce pourcentage est plus élevé que la prévalence de l’ecstasy au cours de l’année précédente). Il s’avère que la consommation de Salvia divinorum est plutôt limitée et expérimentale; il ne s’agit pas d’une drogue sociale ou festive.

Il ressort d’une étude menée en 2006 par Khey et al. auprès d’étudiants dans un lycée américain (moyenne d’âge de 19,8 ans) que les prévalences au cours de la vie, au cours de l’année précédente et au cours du mois précédent, étaient respectivement de 6,7, 3,0 et 0,5 %, la moitié des étudiants interrogés n’exprimant pas le désir de consommer à nouveau. Ceci laisse supposer que la consommation de Salvia divinorum peut présenter un faible taux de continuation.

Prix au détail

Les prix varient entre les pays et dépendent du type et de la quantité de produit concerné. Une «photo instantanée» des boutiques en ligne réalisée début 2011 par l’OEDT a montré que les prix sur le marché européen pour un seul jeune plant de Salvia divinorum oscillaient entre 7 et 40 EUR. Les feuilles séchées coûtent entre 0,27 EUR (paquet de 1 kilogrammes) et 1,5 EUR le gramme (paquet de 1 gramme).

La «photo instantanée» réalisée par l’OEDT a également montré que le prix des extraits «Salvia 5X» vendus en quantité aussi petite qu’un demi gramme est 11–12 EUR. L’extrait «Salvia 40X» coûte autour d’EUR 30 pour demi gramme.

Usage médical

Aucun usage médical de Salvia divinorum ou de la salvinorine A n’est approuvé. Cependant, des recherches intensives sont menées pour explorer le potentiel thérapeutique d’agonistes ou d’antagonistes des KOR apparentés.