Usages d’alcool, de tabac et de cannabis chez les adolescents du secondaire en 2018
Stanislas Spilka, Emmanuelle Godeau (EHESP), Olivier Le Nézet, Virginie Ehlinger (Inserm UMR 1027), Eric Janssen, Alex Brissot, Antoine Philippon, Sandra Chyderiotis
Tendances, juin 2018
Observatoire français des drogues et des toxicomanies
Observer les premiers usages de substances psychoactives chez les adolescents selon le niveau scolaire [1, 2] permet d’analyser le calendrier de diffusion des consommations pour la mise en oeuvre d’actions de
prévention et de politiques de santé publique : quand et où intervenir auprès des élèves, quelles sont les classes « pivots » au cours desquelles les expérimentations s’amorcent ou s’intensifient… À cette fin, les équipes de recherche françaises mettant en oeuvre les deux grandes enquêtes internationales en milieu scolaire Health Behaviour in School-aged Children (HBSC)1 et European School Project on Alcohol and other Drugs (ESPAD)2 ont développé, dans le cadre d’un partenariat noué depuis 2008, le projet EnCLASS (Enquête nationale en collège et en lycée chez les adolescents sur la santé et les substances). En 2018, ces deux enquêtes ont été réalisées, pour la première fois en France, de manière simultanée selon un cadre méthodologique unifié. Plus de 20 000 collégiens et lycéens représentatifs des adolescents scolarisés en France métropolitaine âgés de 11 à 18 ans ont été invités à répondre en classe à un questionnaire en ligne portant sur leur bien-être et leurs comportements en matière de santé, dont les consommations de substances psychoactives. Ce dispositif, inédit en Europe, permet de mesurer ces usages auprès de l’ensemble des élèves de la classe de 6e à la terminale.
Ce numéro de Tendances présente, par niveau scolaire, les prévalences et les évolutions de consommations des trois produits les plus largement diffusés à l’adolescence : l’alcool, le tabac et le cannabis. Cette photographie des usages est complétée par des analyses portant spécifiquement sur les lycéens : leur approvisionnement en tabac et en alcool, ainsi que leur pratique de la cigarette électronique et leur expérimentation de substances illicites autres que le cannabis.
« Années collège » : diffusion des substances licites
Avec six collégiens sur dix déclarant avoir déjà bu au moins une fois une boisson alcoolisée au cours de leur vie (60,0 %), l’alcool est la première substance psychoactive expérimentée à l’adolescence (tableau 1). Si le niveau d’expérimentation mesuré en 6e (44,0 %) indique clairement que cette initiation s’est amorcée dès le primaire, la diffusion devient massive au cours du collège. En effet, en 3e, les trois quarts des adolescents ont déjà expérimenté l’alcool (75,3 %). Pour autant, moins de un collégien sur dix signale avoir connu une ivresse alcoolique (9,3 %). La diffusion du tabac est nettement moins forte durant le premier cycle du secondaire, bien que un collégien sur cinq (21,2 %) déclare en avoir déjà fumé. L’expérimentation de cigarette reste rare à l’entrée au collège, mais sa diffusion s’accélère nettement entre la 5e et la 4e, progressant de 14,0 % à 26,1 %. À l’instar de ce qui est observé pour l’expérimentation de l’alcool, les « années collège » apparaissent avant tout comme une phase d’initiation : seuls 2,6 % des collégiens disent fumer quotidiennement. Cependant, chez les élèves de 3e, ils sont déjà 6,5 % à se déclarer fumeurs quotidiens. La diffusion du cannabis démarre plus tardivement, les années passées
au collège n’étant pas une période importante d’expérimentation. Celleci ne commence à s’amorcer qu’en 4e, avec 7,7 % d’adolescents se disant expérimentateurs. Pour les trois produits étudiés, les garçons présentent des niveaux d’expérimentation supérieurs à ceux des filles.
Évolutions 2014-2018
Au collège, l’expérimentation de l’ivresse marque un recul significatif par rapport à 2014 (date de la dernière enquête HBSC), où elle concernait 13,4 % des collégiens. L’expérimentation du tabac est elle aussi en baisse très nette par rapport au niveau enregistré en 2014 (27,8 %). De même, s’il est encore limité parmi les collégiens, le tabagisme quotidien chute lui aussi fortement, chez les élèves de 4e et 3e (seuls ces élèves avaient été interrogés sur leur éventuel tabagisme quotidien en 2014), passant de 5,6 % à 2,5 % pour les premiers et de 12,3 % à 6,5 % pour les seconds. L’usage de cannabis au cours de la vie apparaît également en recul (- 3,6 points par rapport à 2014).
« Années lycée » : des usages qui s’installent
Le passage de la 3e à la 2de se caractérise par la poursuite de la diffusion des expérimentations. L’alcool reste la substance le plus souvent expérimentée chez les élèves (85,0 %), loin devant le tabac (tableau 2). Mais, surtout, les ivresses déclarées augmentent fortement entre le collège et le lycée, passant de moins de un collégien sur dix (9,3 %) à la moitié des lycéens (49,5 %). L’intensification des comportements d’alcoolisation durant le lycée s’illustre par des usages réguliers de boissons alcoolisées3, dont les niveaux doublent entre la 2de et la terminale, passant de 10,9 % à 24,4 %. Il en est de même pour les alcoolisations ponctuelles importantes (API) (c’est-à dire le fait d’avoir bu au moins 5 verres d’alcool lors d’une même occasion au cours du mois précédant l’enquête), dont les niveaux progressent fortement au lycée : 52,2 % des élèves de terminale ont déclaré au moins un épisode d’API au cours du mois précédant l’enquête, contre 36,4 % des élèves de 2de. Le tabagisme se développe au lycée (53,0 % des lycéens déclarent avoir expérimenté le tabac), avec notamment une propagation du tabagisme quotidien, qui passe de 6,5 % en 3e à 14,0 % en 2de, puis à 21,5 % parmi les élèves de terminale. Enfin, les « années lycée » sont un moment privilégié de la diffusion du cannabis, puisqu’un tiers des lycéens (33,1 %) disent en avoir déjà fumé au cours de leur vie, les niveaux passant de 16,0 % en 3e à 25,2 % en 2de pour atteindre 42,4 % en terminale. Les usages réguliers de cannabis restent relativement limités comparés à ceux de l’alcool, progressant légèrement de 5,4 % à 6,8 % entre la 2de et la terminale. Les écarts de niveaux d’expérimentation entre les garçons et les filles observés au collège disparaissent chez les lycéens. Le tabagisme quotidien concerne autant les filles que les garçons, quel que soit le niveau scolaire. À l’inverse, l’usage régulier d’alcool ou de cannabis demeure avant tout l’apanage des garçons (figure 2). On observe notamment un fort accroissement de l’écart concernant la consommation
régulière d’alcool en terminale : le niveau déclaré alors par les filles est deux fois moindre que celui des garçons (16,0 % vs 33,2 %).
Évolutions 2015-2018
Comme ce qui a été observé pour le collège, les taux d’expérimentation du tabac et du cannabis ont chuté entre la dernière enquête ESPAD (2015) et celle de 2018. La baisse concerne plus particulièrement l’usage de cigarettes, que ce soit au cours de la vie (- 8 points), ou quotidien (- 5 points). Les comportements d’alcoolisation apparaissent stables parmi les lycéens (les légères baisses observées entre 2015 et 2018 n’étant pas statistiquement significatives). Les dernières données concernant pour leur part les adolescents âgés de 17 ans montraient des niveaux plutôt orientés à la baisse (Philippon et al., 2018.).
(…)
Etude_ado