La lutte contre le trafic de drogue nuit-elle aux politiques de développement ?
Depuis la ratification de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, le régime mondial de contrôle des drogues a tenté de changer le comportement humain et de prévenir la consommation de drogues par la punition, afin d’atteindre un « monde sans drogues ».
Cette ambition clé, basée sur la simple prédiction que la prohibition assécherait éventuellement la demande des drogues illégales, a été réaffirmée par la communauté internationale depuis trente ans à travers des déclarations politiques aux Nations unies.
Pourtant, la demande, l’offre et le trafic des drogues illégales augmentent chaque année et de manière ininterrompue dans le même laps de temps. De plus, le paradigme de la prohibition, qui base la quasi-totalité des interventions publiques sur la répression, a créé des conséquences négatives majeures qui remettent en cause l’accomplissement d’autres objectifs globaux de développement.
Contrôle des drogues et conséquences « surprises »
Ce sont ces conséquences, reconnues par les Nations unies en 2008 comme conséquences « inattendues » du régime du contrôle des drogues, qui semblent montrer que le régime de contrôle (somme toute construit sur de bonnes intentions mais mis en place par la répression) met à mal la réalisation des objectifs du développement durable et l’Agenda de 2030.
Elles incluent les dommages causés par la prohibition : déplacement budgétaire et politique dans les priorités nationales (du secteur de la santé vers celui de la justice, par exemple) ; déplacement géographique de la production et de la violence sans qu’elles soient réduites pour autant (effet ballon gonflable) ; et un marché illégal de plus de 500 milliards de dollars dans les mains d’intérêts illégaux.
Autres conséquences dont la source est corrélée au contrôle répressif des drogues : l’augmentation de la violence et de l’insécurité du fait de l’affrontement entre forces de l’ordre et trafiquants dans des quartiers souvent défavorisés ; la surincarcération et la surpopulation carcérale pour des délits mineurs ; l’enrichissement de groupes criminels ; ou encore la transmission de maladies infectieuses.
Voici deux problèmes liés que le régime international – en termes de droit international – pose aux politiques et aux objectifs de développement : alors que les conventions internationales sur les drogues sont construites autour de la notion que la dépendance est un fléau (un terme exclusif aux conventions sur les drogues dans l’arsenal normatif international), le système international n’arrive pas à y intégrer la définition même du syndrome de la dépendance par l’OMS, qui inclut un désir incontrôlable de consommation ; un risque réaliste de rechute ; et des symptômes physiques et psychologiques de sevrage. Cette situation s’aggrave même lorsqu’est pris en compte le manque d’évaluation scientifique dans la classification de ces substances, entre ce qui est légal ou pas, dangereux ou moins.
Les objectifs de développement durable mis à mal
Sur la base de ces conclusions, le récent numéro spécial de International Development Policy consacré aux politiques de développement et de contrôle des drogues tente de répondre à une question simple : ces politiques se renforcent-elles mutuellement ou sont-elles contradictoires ? Il examine un large spectre de problématiques liées au développement, afin d’identifier les impacts réels du contrôle des drogues, et d’analyser à quel point les barrières au développement durable sont endogènes ou exogènes au contrôle des drogues.
L’exploration des interactions entre le développement et le contrôle des drogues commence par les programmes de « développement alternatif », qui sont vus principalement du point de vue agricole ou répressif, sans prise en compte des autres problématiques socio-économiques induites par ces programmes d’éradication ou de substitution des cultures agricoles, et spécifiquement dans les communautés rurales des pays producteurs. L’Afghanistan sert de miroir de l’incapacité de ces programmes à tenir compte des besoins des populations locales, ou de leur offrir des perspectives de long terme. Toutefois les agences gouvernementales adoptent une autre position, tout en reconnaissant les lacunes du développement alternatif.
Ces interactions concernent également des dimensions du développement qui subissent elles-mêmes des changements profonds actuellement : le climat, l’égalité des genres, les droits de l’enfant ou la santé publique. En effet, comment concilier la protection des enfants et un contrôle des drogues moins répressif ? Pourquoi les femmes subissent-elles bien plus les impacts négatifs de la répression que les hommes ? Est-ce lié aux structures patriarcales des systèmes de justice ? De la même manière, le numéro spécial aborde l’impact de la production illégale et intensive du cannabis sur le climat ; le débat autour du commerce équitable en cas de légalisation globale du cannabis afin de ne pas laisser les producteurs traditionnels sur le côté ; ou la difficulté de déploiement des services sanitaires nécessaires aux consommateurs de drogues, souvent sur des bases idéologiques.
Politique et dilemmes sociétaux
Ce numéro spécial apporte surtout une première lecture « politique » du désaccord entre développement et contrôle des drogues : à travers l’analyse des flux financiers illicites dans les zones de conflits ; l’utilisation du contrôle des drogues afin d’influencer, par l’émotion politique, la compétition et la participation aux processus électoraux ; ou la définition large des acteurs du contrôle des drogues (par ailleurs tous acteurs du développement), des dimensions nouvelles sont ajoutées à la littérature existante. Ces discussions conceptuelles sont ancrées dans la théorie et dans l’empirique à travers différents exemples nationaux, de l’Afrique du Sud au Mexique, et du Maroc au Croissant d’Or (Afghanistan-Myanmar-Pakistan).
Il semble ainsi certain que l’agenda de développement durable pourrait être mis en place pour la majorité des populations sans la réforme du régime de contrôle des drogues. Toutefois, ce développement laisserait de côté les personnes concernées par les drogues illégales (consommateurs, producteurs, chimistes, trafiquants, passeurs, etc.) ainsi que leurs communautés, qui sont statistiquement peu nombreuses pour influencer le résultat quantitatif de l’agenda de 2030.
La conclusion finale tirée de ce numéro spécial est la « vulnérabilisation » par la loi des personnes concernées par les drogues illégales, ces personnes perdant par leur implication dans le marché des drogues leur place dans le débat public et leur poids politique comme citoyens, et peuvent ainsi être négligées par les politiques de développement. Ceci s’entend dans le cadre de politiques de contrôle des drogues qui ne réduisent ni le trafic ni la consommation problématique, tout en ne permettant pas aux communautés concernées d’être plus résilientes ou plus intégrées dans la société.