Cannabis
Sommaire du dossier n° 67, 2019
Le cannabis thérapeutique, pourquoi s’en priver ?
Cannabis sativa L. : aussi fascinante qu’inquiétante
Le chanvre, une panacée ?
Indications médicales du cannabis
Cannabis thérapeutique : focus sur trois pathologies graves
Légalisation du cannabis thérapeutique : la France entre retard et espoir
Le cannabis thérapeutique, pourquoi s’en priver ?
Dossier réalisé par Jean-Baptiste Talmont
https://www.alternativesante.fr/dossier/page/1
Comment ça, un dossier sur le cannabis ? Mais c’est une drogue ! Certes, comme bien d’autres plantes de notre pharmacopée. Mais si l’humanité cultive le chanvre aussi bien pour ses effets psychotropes (inutile de le nier) que pour en faire du tissu, du papier et même du béton naturel, c’est bien à ses vertus thérapeutiques que nous nous intéresserons ici, en particulier celles liées à deux de ces composés, le THC et le CBD.
Le thème est délicat, et suscite de vives polémiques. Soyons clairs : n’ayant aucun attrait pour les effets psychotropes, il n’est pas question pour nous de plaider pour la légalisation du cannabis festif. Pour autant, il est impossible de ne pas aborder les vertus thérapeutiques avérées de la plante, au seul titre qu’elle serait utilisée comme une drogue. D’une, les végétaux de cette nature ont toujours fait partie de nos pharmacopées (rappelons qu’en anglais, le mot drug désigne un médicament). De deux, le nombre d’études scientifiques prouvant les bénéfices du cannabis sur de très nombreuses pathologies est extrêmement conséquent.
Lourdeur, lenteur, mais aussi lueur
Si nous ne plaidons pas pour la légalisation du cannabis à tous les étages, nous n’acceptons pas que l’autorisation de son usage thérapeutique, médicalement encadré, soit à ce point relégué aux calendes grecques par notre législation, privant ainsi les malades de possibles réponses à leurs problèmes. Alors que de nombreux pays à travers le monde et en Europe se sont déjà prononcés positivement sur la question, la France s’illustre par sa remarquable lenteur, embourbée qu’elle est dans son système de prise de décisions.
Toutefois, le travail de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur le sujet – depuis septembre 2018 et pour six mois encore – semble prometteur. En janvier, elle a publié un communiqué en forme d’avis autorisant les essais sur le cannabis thérapeutique. Reste à savoir quelles seront les conditions, les restrictions et les indications en jeu.
Les premiers médicaments sont sortis
En outre, l’industrie pharmaceutique a récemment fabriqué les premiers médicaments à base de cannabis : le Sativex (à destination de malades atteints de sclérose en plaques) et l’Epidiolex (dédié aux formes rares d’épilepsie). Et si nous ne trouvons pas encore ledit Sativex en France, il semble que ce ne soit que pour des questions de fixation de prix. En clair, ce n’est pas la nature du produit, mais un problème commercial qui en empêche la prescription en France. Difficile, dans ces conditions, de continuer à s’arc-bouter par principe contre la plante.
Il est donc largement temps (et nous sommes en retard) de se pencher sérieusement sur l’intérêt que présente le cannabis pour notre santé – et plus particulièrement sur deux des 480 principes actifs qui le composent, le tétrahydroxycannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD).
Des siècles d’études
• Des premières études aux récents médicaments à base de cannabis, Savitex et Epidiolex, il s’est écoulé… quatre siècles. Robert Burton, un savant d’Oxford, intégra dans ses remèdes contre la dépression des graines de chanvre (Anatomie de la mélancolie, 1621).
• Toujours au XVIIe siècle, le botaniste Nicholas Culpeper présenta la plante comme anti-inflammatoire dans son livre The English Physician.
• Deux cents ans plus tard, le Dr William O’Saughnessy conduisit la première grande recherche sur le cannabis, source d’un ouvrage en sept volumes (The Indian Hemp Drugs Commission Report, 1893).
• Quant au médecin personnel de la reine Victoria, le Dr J. R. Reynolds, il écrivit dans The Lancet, en 1890, que « pour presque toutes les maladies douloureuses, le chanvre indien s’avère de loin le médicament le plus utile ».
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Cannabis sativa L. : aussi fascinante qu’inquiétante
Rares sont les plantes ayant suscité autant d’engouement que de répulsion par le passé. Petit historique du cannabis, des origines de son utilisation, au Néolithique, à sa progressive légalisation contemporaine.
Le cannabis est l’une des toutes premières plantes que les humains ont cultivées. Que ce soit pour sa fibre, ses propriétés médicinales ou ses capacités à provoquer une ivresse transitoire, un effet de relaxation, voire une modification de l’état de conscience, les hommes l’utilisent depuis au moins douze mille ans.
On a ainsi trouvé trace de la plante sur des peintures murales datant du Néolithique dans une grotte du sud-ouest du Japon. Des archéologues ont également trouvé des échantillons de fleurs de cannabis déshydraté âgé de dix mille ans dans une jarre de l’ère japonaise Jomon.
Cela fait belle donc lurette que l’homme utilise le chanvre (Cannabis sativa L.). En Chine, les premiers papiers ont été conçus à partir de fibres de cannabis. Au IXe siècle, les Arabes introduisirent le procédé en Occident pour remplacer supports en papyrus et tablettes. On a aussi confectionné, avec les fibres du chanvre, des tissus particulièrement résistants. Des Phéniciens aux Égyptiens jusqu’aux Vikings, tous s’en servirent pour fabriquer les voiles de leurs bateaux.
La médicinale la plus importante
Les effets psychotropes de la plante étaient connus bien avant l’ère chrétienne, tout comme ses vertus médicinales. C’est de Chine antique que sont originaires les premiers écrits mentionnant le cannabis sous sa forme médicamenteuse, laissant à la postérité un savoir auparavant transmis oralement. L’empereur Shen Nong, qui régna il y a quatre mille sept cents ans, citait ainsi le chanvre comme un remède naturel de grande importance, au même titre que le ginseng ou l’éphèdre. Aux premières lueurs de notre ère, la médecine traditionnelle chinoise se servait encore de la plante pour guérir une centaine de maladies.
Entre – 1 500 et – 200 av. J.-C., le cannabis a été également largement utilisé comme médicament dans la région méditerranéenne, de l’Égypte à la Grèce via l’Inde. Dans l’Avesta, recueil de textes sacrés des anciens Perses (– 700 av. J.-C.), le chanvre n’apparaît pas moins que comme la médicinale la plus importante.
Et pourtant, avec la lignée des médecins arabes, s’immiscent une fracture, une attirance et une répulsion. Aux héritiers des grandes médecines antérieures, fascinés par les vertus du cannabis, se substituent des médecins que l’on dirait réfractaires, à l’instar d’Ibn Wahshiyah qui déclara, au Xe siècle, que c’était un poison. À sa décharge, il ne connaîtra pas Paracelse, qui affirmera, six siècles plus tard, que « rien n’est poison, tout est poison : seule la dose est poison ».
Engouement médical et artistique
Au XIXe siècle, le Dr Jacques-Joseph Moreau de Tours, chef de la clinique psychiatrique d’Ivry, considérait le chanvre comme un remède important. À l’en croire, sur sept patients atteints de diverses pathologies plus ou moins graves qu’il traita avec du cannabis, cinq guérirent.
Quant aux peintres, poètes et écrivains tels Eugène Delacroix, Théophile Gautier, Charles Baudelaire, Alexandre Dumas ou Honoré Daumier, ils vantèrent les vertus de la plante à des fins créatrices.
Je t’aime moi non plus
Alors, diabolique ? Médicinal ? Panacée ? Le chanvre est certainement tout cela à la fois, se dévoilant ou dévoyant, en fonction de l’usage, blessant ou guérissant, guérissant ou blessant – pour paraphraser Paracelse. Fascination et répulsion encore, en 1925, quand la Société des Nations ratifia la Convention internationale de l’opium : tout en bannissant le cannabis et ses dérivés, elle ne put se résoudre à en interdire formellement l’emploi médical et scientifique.
Un peu après, en 1937, lorsque le gouvernement fédéral des États-Unis décida de bannir le cannabis, le conseiller de l’American Medical Association, le Dr William C. Woodward, assura que cette drogue possédait « un potentiel dont il serait dommage de se priver à cause de cette loi. On devrait permettre au corps médical […] de développer l’utilisation de cette drogue comme bon lui semble ».
Plus de quatre-vingts ans plus tard, l’histoire a donné raison à ce médecin – dont l’avis n’eut aucun effet à l’époque – dans certains états américains, et ailleurs en Europe. Il est donc largement temps, en France, d’analyser le potentiel médicinal dont Cannabis sativa L. s’enorgueillit depuis des millénaires.
La légalisation en Europe
Pendant que l’ANSM réfléchit à la légalisation du cannabis thérapeutique, nos voisins européens sont nombreux à avoir statué sur la question. Dressons une petite liste non exhaustive : l’Allemagne a totalement légalisé le cannabis à des fins thérapeutiques en janvier 2017 ; l’Autriche, depuis juillet 2008 ; la Belgique, en 2001 ; la Croatie, le 15 octobre 2015.
La Finlande, elle, autorise le cannabis thérapeutique depuis une jurisprudence datant de 2006 dans le traitement du cancer, de la sclérose en plaques et du glaucome ; la Grèce, depuis 2017. L’Italie l’a autorisé en 2007 pour la sclérose en plaques, les douleurs chroniques, le glaucome, le VIH, l’anorexie, le cancer. Le Luxembourg a légalisé le cannabis médical tout récemment, le 28 juin 2018, comme le Royaume-Uni, le 1er novembre 2018.
Dans les pays baltes, seule l’Estonie a légalisé la consommation à des fins médicales depuis 2005 (mais dans des conditions si drastiques que, pour l’heure, seul un patient en a bénéficié !). La Pologne a légalisé le cannabis médical en juin 2017 ; la Roumanie, en 2013 ; la République tchèque, en avril 2013. Malte l’a également légalisé. Quant aux Pays-Bas, ils détiennent depuis 2002 le marché du cannabis thérapeutique et fournissent toute l’Europe via l’entreprise Bedrocan.
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Le chanvre, une panacée ?
Deux sous-espèces de Cannabis, sativa et indica, se distinguent par leurs taux de cannabinoïdes CBD et THC. Le point sur le fonctionnement, les différentes propriétés médicinales et les effets de ces deux composants.
La première sous-espèce, Sativa, produit le plus de cannabidiol (CBD) et moins de 1 % de tétrahydroxycannabinol (le fameux TCH), autrement appelé dronabinol dans sa dénomination pharmacologique. Indica est la plus riche en THC, certaines variétés possédant un taux de 25 % de THC du poids de la plante séchée.
Du THC sur ordonnance
Le tétrahydroxycannabinol est le cannabinoïde qui offre le plus large spectre de propriétés. C’est au THC que l’on attribue les effets psychoactifs du cannabis chers aux amateurs de « cigarettes qui font rire ». C’est aussi lui qui fascine les chercheurs en blouse blanche et possède la plupart des propriétés médicales des produits dérivés du cannabis.
C’est un euphorisant, un relaxant des muscles, un antiépileptique, un réducteur de pression oculaire, un bronchodilatateur, un analgésique, un tranquillisant… La liste est longue, et dans les pays germanophones – de l’Allemagne à la Suisse en passant par l’Autriche –, les médecins sont autorisés à prescrire le dronabinol par ordonnance.
Le cannabidiol (CBD) ne présente, quant à lui, aucun effet psychique. Mais ce cannabinoïde n’est pas en reste en matière d’actions thérapeutiques, puisqu’il montre des propriétés sédative, anti-inflammatoire, antiépileptique, anxiolytique, antipsychotique et réductrice de pression oculaire. De plus, le CBD potentialise les effets analgésiques du THC.
Un système métabolique inconnu
En étudiant le cannabis et ses interactions avec l’organisme, les chercheurs ont découvert un fonctionnement métabolique leur ayant jusque-là échappé : le système endocannabinoïde. En 1987, il a été démontré pour la première fois que TCH et CBD se liaient à des récepteurs spécifiques du corps humain jusque-là inconnus, qui furent nommés récepteurs cannabinoïdes.
Situés principalement dans les membranes des cellules du cerveau et dans la moelle épinière, ils sont également présents dans les cellules du cœur, de l’intestin, des poumons, de la peau, des voies urinaires, des globules blancs, des appareils génitaux, des glandes internes et de la rate.
Peu importe que le premier endocannabinoïde, nommé anandamide, n’ait été découvert qu’en 1992 (ce qui laisse tout de même supposer un très vaste champ d’exploration scientifique). Ce qui est fascinant, ici, c’est que ce système physiologique, présent chez tous les vertébrés, est peut-être le plus important de tous dans la préservation de la santé.
Le maintien d’un équilibre interne
Les endocannabinoïdes accomplissent plusieurs tâches, dont l’objectif est toujours le même : l’homéostasie, c’est-à-dire le maintien d’un environnement interne stable malgré des variations dans l’environnement externe. Ainsi, en cas de souffrance, la concentration en anandamides augmente dans les certaines zones cérébrales en charge de la gestion de la douleur, pour les soutenir dans leur tâche. Ou, en cas de sous-alimentation, la production en anandamide est accrue pour mieux stimuler l’appétit.
Ces deux exemples illustrent l’adaptabilité du système endocannabinoïde, et se déclinent sur un très grand nombre de pathologies. Les chercheurs continuent d’ailleurs d’aller de surprise en surprise. Ils ont notamment observé que les récepteurs endocabinnoïdes peuvent communiquer avec ceux d’autres familles, ce qui ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques. C’est donc sur ce système complexe, subtil et encore mystérieux qu’interagissent les cannabinoïdes, TCH en tête puis CBD, ce qui explique le spectre large de leurs propriétés.
La plante aux 7 classes de terpènes
Les chémotypes du cannabis dépendent de la prépondérance du THC ou du CBD. Ensuite, sept classes de terpènes (plus communément connus sous le nom d’huiles essentielles) sont dominantes :
• bêta-caryophyllène (anti-inflammatoire, anti-infectieux, anxiolytique, antioxydant),
• myrcène (sédatif, relaxant musculaire, anti-inflammatoire, anti-ulcéreux, antalgique),
• limonène (antiseptique, relaxant musculaire, antiviral, antitumoral),
• terpinolène (antioxydant),
• alpha-pinène (antiseptique),
• linalol (antalgique, anxiolytique, anti-inflammatoire, antalgique, spasmolytique),
• ocimène.
La plupart des variétés de cannabis possèdent une dominance de myrcènes. C’est le subtil mélange de ces terpènes qui influent sur les effets médicinaux.
Des cannabinoïdes, mais pas que
En marge du THC et du CBD, le cannabis compte également des flavonoïdes, dont l’apigénine, connue pour ses propriétés anti-inflammatoires et anxiolytiques, et la quercétine, remarquable pour ses propriétés antioxydantes protégeant les cellules des radicaux libres. Il existe plus de 6 000 types de flavonoïdes différents, répartis en général en 12 catégories distinctes. On en trouve dans d’autres plantes vantées pour leurs vertus médicinales.
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Indications médicales du cannabis
Pour donner de l’appétit, favoriser le sommeil ou encore soulager les douleurs, l’interaction entre THC, CBD et nos récepteurs endocannabinoïdes se révèlent remarquable. Notamment pour les personnes atteintes de cancers ou les malades Alzheimer.
Le THC (ou drobinol) a longtemps concentré l’attention des chercheurs, les études et l’intérêt médical. Mais, depuis quelques années maintenant, le cannabidiol (CBD) dévoile aussi des atours thérapeutiques qui séduisent les scientifiques. Potentiel médicinal avéré, absence d’effets psychiques et d’effets secondaires sont en effet des qualités qui ne passent plus inaperçues. Le nombre de produits dérivés et d’essais cliniques en centres hospitaliers universitaires (notamment au CHU de Garches) en atteste.
Mais c’est surtout en synergie que ces deux cannabinoïdes se révèlent remarquables. Ils permettent à l’organisme, via le système endocannabinoïde qu’ils stimulent et avec lequel ils entrent en lien, de lutter contre un très grand nombre de pathologies. En voici des exemples.
La maladie d’Alzheimer
Dans les pays qui ont légalisé le cannabis médical, on utilise le chanvre naturel pour calmer les patients agités, accroître leur appétit ou encore les aider à dormir. En outre, sachant que les cannabinoïdes sont également anti-inflammatoires et que l’inflammation est la pierre angulaire de la progression de la maladie d’Alzheimer, des thérapies les impliquant ont été mises au point. En interaction avec les endocannabinoïdes du corps, la stratégie thérapeutique est de cibler et potentialiser les mécanismes neuroprotecteurs tout en modérant la neuro-inflammation causée par la maladie.
L’arthrite
C’est une des indications phares du cannabis thérapeutique. En premier lieu, le THC et le CBD sont d’excellents antalgiques et agissent avantageusement sur la douleur. En l’occurrence, les cannabinoïdes provoquent des réponses anti-inflammatoires ciblées. On estime, pour information, que le THC possède une activité anti-inflammatoire deux fois plus importante que l’hydrocortisone. Les chercheurs savent aujourd’hui que le système endocannabinoïde et ses récepteurs (en l’espèce, CB1 et CB2) se trouvent également dans les membranes synoviales des articulations. L’interaction entre THC, CBD et nos récepteurs endocannabinoïdes pourraient jouer un rôle protecteur du cartilage des articulations.
Le manque d’appétit
Le cannabis est reconnu comme un stimulant de l’appétit depuis la Chine antique et l’Inde. Dans la médecine ayurvédique, il est cité comme permettant d’augmenter le feu digestif. Au XIXe siècle, la Grande-Bretagne l’utilisait médicalement pour accroître l’appétit et, dans la même dynamique thérapeutique, au début des années 1980 aux États-Unis, on a recouru au cannabis pour traiter la cachexie de patients souffrant du sida.
La cachexie, autrement appelée syndrome de dépérissement, est liée à des maladies comme le cancer ou le sida. Bien plus qu’un simple manque d’appétit, car on perd de la masse corporelle à mesure que la maladie progresse, ce syndrome peut être relié à une réponse inflammatoire issue de la cytokine, substance de signalisation cellulaire synthétisée par les cellules immunitaires (entre autres). Le THC et le CBD moduleraient l’activité cytokine et interféreraient avec la réponse inflammatoire.
Là encore, c’est notre système endocannabinoïde qui est stimulé. On a récemment découvert que c’est ce système qui est le principal modulateur de l’apport alimentaire. Les cannabinoïdes stimulent les récepteurs du système endocannabinoïde situé dans l’hypothalamus et les structures du cerveau postérieur responsable de la régulation de l’appétit.
Les maladies auto-immunes
Les maladies auto-immunes se caractérisent par une sorte « putsch » de notre armée propre : notre système immunitaire se retourne contre les cellules et les tissus sains de notre corps. La stratégie thérapeutique, dans certains cas, est l’immunosuppression. En cause (même si les études sont encore trop récentes et qu’il reste beaucoup à faire) : le récepteur endocannabinoïde CB2, en charge de la modulation du fonctionnement des cellules du système immunitaire.
Pour l’heure, les scientifiques ne maîtrisent pas l’action des cannabinoïdes végétaux. Mais qu’ils soient de synthèse ou naturels, les cannabinoïdes révèlent une action anti-inflammatoire et immunosuppressive des plus intéressantes. Une étude de l’université de Prague, présentée en 2002 aux États-Unis au Congrès international sur la maladie de Parkinson, a prouvé qu’au bout d’un certain temps, des malades de Parkinson traités au cannabis ont constaté une amélioration sensible de leurs symptômes, notamment la dyskinésie.
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Cannabis thérapeutique : focus sur trois pathologies graves
Certains pays d’Europe, comme la Finlande ou l’Italie, autorisent le cannabis thérapeutique pour traiter des pathologies particulières – le cancer, la sclérose en plaques ou le glaucome, en l’occurrence. Voyons comment fonctionnent les cannabinoïdes ici.
Face au cancer et ses symptômes…
Des études ont montré une activité anti-tumorale liée au THC et au CBD. Les mécanismes relevés par les chercheurs sont notamment une stimulation de la mort cellulaire programmée par la cellule cancéreuse (apoptose), le blocage de la division des cellules cancéreuses ou encore l’inhibition de l’accroissement des vaisseaux sanguins vers la tumeur pour la nourrir (angiogenèse).
Des résultats très encourageants mais récents, qui ne suffisent pas, pour l’heure, à avérer totalement l’activité anti-tumorale du cannabis. Les autorités françaises ont néanmoins déjà pu entrevoir l’intérêt de développer la recherche sur le cannabis thérapeutique. Les États-Unis investissent déjà massivement en ce sens.
En attendant l’évolution juridique dans notre pays, il est des indications thérapeutiques avérées de l’usage du cannabis thérapeutique dans le cadre du cancer – qui n’est pas une maladie, mais une kyrielle de formes pathologiques contre lesquelles doit lutter notre organisme.
Les cannabinoïdes agissent ainsi avantageusement sur les nausées et vomissements, stimulent l’appétit, atténuent les douleurs, favorisent le sommeil, apaisent l’anxiété et la dépression et potentialisent l’humeur. Là encore, nous le répétons, il s’agit d’un dosage médical.
En outre, le cannabis thérapeutique en est toujours à ses balbutiements (bien que la plante soit mentionnée dans le Shennong bencao jing, un traité de médecine publié par l’empereur Shen Nong il y a… 4 700 ans !). Il serait donc cavalier et contre-productif de prétendre à des réponses thérapeutiques universelles. D’où l’importance des recherches.
… et face aux effets secondaires des traitements
La chimiothérapie, en particulier avec la cistapline, provoque d’épouvantables nausées et vomissements. THC et CBD sont tout aussi efficaces pour lutter contre ces nausées que les anti-émétiques régulièrement prescrits. Pour l’appétit, nous avons déjà esquissé les mécanismes par lesquels les cannabinoïdes jouaient un rôle bénéfique.
De plus, le THC se montre particulièrement efficace pour réduire voire prévenir certaines formes de douleurs cancéreuses. Des études révèlent que 10 mg de THC sont aussi efficaces que 60 mg de codéine sur sept heures. Et sur des animaux souffrant de neuropathies induites par la chimiothérapie, le CBD s’est révélé un excellent inhibiteur du symptôme.
Le glaucome
Dans le cas du glaucome, il est tout d’abord essentiel de préciser de quoi l’on parle, tant ce mot regroupe une série de maladies touchant le nerf optique. Partons du principe que c’est avant tout une pression forte de l’humeur aqueuse à l’intérieur du globe oculaire qui est source de dégât sur le nerf. En temps normal, cette pression varie entre 10 et 21 mm de mercure. Au-delà de 21 mm de mercure, la pression est souvent liée à un dysfonctionnement de l’élimination de l’humeur aqueuse.
Le glaucome à angle ouvert n’a pas de symptômes avant-coureurs, si ce n’est une perte d’acuité visuelle. Les récepteurs endocannabinoïdes sont présents en grand nombre dans l’œil, dans la cornée, la rétine, mais également dans le réseau qui draine le liquide intraoculaire de l’humeur aqueuse (le réseau trabéculaire). Le mécanisme du THC permet de réduire la pression – quant au CBD, on suppose qu’il a un rôle neuroprotecteur qui pourrait protéger la rétine.
C’est en conduisant des recherches sur le cannabis dans les années 1970 que les Drs Hepler et Franck ont découvert, par hasard, que le THC diminuait de 25 % en moyenne la pression intraoculaire. Avec de fortes disparités de résultat toutefois : chez deux participants de l’étude, aucune diminution n’a pu être constatée, alors que chez certains, elle s’élevait jusqu’à 45 %.
La sclérose en plaques
La sclérose en plaques (SEP) est une maladie dégénérative inflammatoire de la matière blanche du cerveau : le système immunitaire s’attaque à la gaine de myéline qui entoure les nerfs descendants jusqu’à la moelle épinière. Quand la myéline est abîmée, elle laisse des nerfs croiser ses signaux à d’autres nerfs abîmés.
La transmission croisée emballe la production de neurotransmetteurs appelés glutamate. La production excessive de glutamate, en cas de sclérose en plaques, peut s’avérer toxique pour les cellules nerveuses. Les symptômes de la SEP comprennent spasmes musculaires, douleur, tremblement, détérioration de la parole et de mouvements, etc.
Étant donné que les cannabinoïdes régulent la neurotransmission, ils peuvent imiter les endocannabinoïdes et réguler la neurotransmission dysfonctionnelle. De plus, il est avéré qu’ils limitent la progression de la maladie en abaissant la production excessive de glutamate, réduisant ainsi les dégâts neurologiques.
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Légalisation du cannabis thérapeutique : la France entre retard et espoir
Arrivé à ce point de notre dossier, vous attendez certainement des conseils pratiques en matière de cannabis thérapeutique. Que faire ? Qu’acheter ? Quels sont les produits recommandés ? Les compléments alimentaires ? Les doses ? Les méthodes d’ingestion ?
Et bien, figurez-vous qu’il nous est parfaitement impossible de répondre à ces questions sans contrevenir à la loi. Nous ne pouvons aller plus loin que ce qui est écrit dans ce dossier, et Dieu sait que ce n’est qu’un infime résumé.
Si nous nous amusions à donner des marques de produits (que l’on trouve très facilement via Internet, en Allemagne, aux Pays-Bas ou encore aux États-Unis), nous nous exposerions et vous exposerions peut-être à des poursuites.
En France, cela reste un délit
La législation concernant le cannabis en France et en Europe n’est pas homogène. Nombreux sont nos voisins ayant statué favorablement, parfois depuis longtemps, sur la question du cannabis thérapeutique (cf. l’article « Cannabis sativa L. : aussi fascinante qu’inquiétante »).
En France, jusqu’ici, tous les usages du cannabis sont interdits. Un patient utilisant du cannabis à des fins thérapeutiques est considéré comme un consommateur de drogue, un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende selon le site service-public.fr. Qui rappelle, tout de même, une nouvelle disposition de la loi prévoyant « des mesures alternatives permettant d’éviter au consommateur un procès pénal ». La bonne affaire.
La Creuse ne demande que ça
Dans le cadre du Plan particulier pour la Creuse (PPC) proposé par le président de la République Emmanuel Macron, le président de l’agglomération du Grand Guéret, Éric Corréia, a lancé l’idée de cultiver du cannabis en Creuse. Il ne s’agit évidemment pas de promouvoir le cannabis récréatif ni d’inciter à la consommation de « pétards ». Éric Corréia souhaite que soit menée, en Creuse, une expérimentation de culture de cannabis thérapeutique, et que celle-ci soit évaluée tant au plan médical que sur ses retombées agricoles et économiques.
Selon lui, toute la filière est déjà prête dans le département, depuis les agriculteurs – certains d’entre eux cultivent déjà le chanvre pour sa fibre – jusqu’aux laboratoires pharmaceutiques de transformation, en passant par les investisseurs désireux de miser sur le développement du cannabis dans l’arsenal thérapeutique français.
Le cannabis médical pourrait être ainsi prescrit notamment contre « les douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles ; dans certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes ; dans le cadre des soins de support en oncologie ; dans les situations palliatives ; enfin, dans la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques. » La balle est dans le camp du législateur.
Sur le quai de la gare
Or, actuellement, l’ANSM travaille sur la question de l’autorisation de l’usage thérapeutique. En attendant qu’elle statue et que le gouvernement légifère, puis que le marché s’ouvre ou non en fonction de la loi, de ses conditions, de ses indications si ce n’est de ses restrictions, nous restons pantois, comme c’est souvent le cas, devant la situation d’un pays qui a perdu l’idée et l’envie de leadership sur des questions médicales importantes, et se perd en combats d’arrière-garde. Nous finirons sûrement pas monter dans le train en mouvement, mais avec retard et en omettant de retirer le frein. Quoi qu’il en soit, nous sommes encore sur le quai de la gare.
Et pourtant, des produits existent bel et bien, telles ces crèmes au CBD pour hydrater le visage et lutter avec succès contre le psoriasis. Des acteurs en devenir se tiennent prêts, comme la Creuse, qui ne demanderait pas mieux que de consacrer des terres à l’exploitation de la précieuse plante. Enfin, des CHU n’attendent que le feu vert pour expérimenter des protocoles, notamment pour lutter contre les douleurs chroniques. Tous souhaitent utiliser le meilleur d’une plante millénaire qui n’a pas fini de nous surprendre.
Quant à nous, chez Alternative Santé, nous vous promettons de suivre de très près l’actualité du cannabis thérapeutique. Dès que possible nous donnerons suite à ce dossier et effacererons les brûlures de la frustration. Difficile de s’arrêter là, aussi brutalement.
Pour aller plus loin
• Chanvre en médecine, redécouverte d’une plante médicinale, du Dr Franjo Grotenhermen, éd. Solanacée, 2017.
• Cannabis contre cancer : état des connaissances scientifiques et applications pratiques pour la thérapie, du Dr Franjo Grotenhermen, éd. Solanacée, 2018.
• Cannabis médicinal, ce qu’il faut savoir, de Michael Backes, éd. Hugo Doc, 2016.
• Association Norml, www.norml.fr