« Légalisation du cannabis : 50% des gains doivent revenir au sanitaire »
William Lowenstein, Président de SoS Addictions
22 décembre 2014
Le rapport de Terra Nova prônant la légalisation du cannabis commence à faire phosphorer. Nous laissons ici la plume et la parole au Dr William Lowenstein, interniste et addictologue, président de SoS Addictions.
« Il y a un peu moins d’un siècle, Al Capone tombait pour fraude fiscale et la prohibition de l’alcool s’arrêtait. Non sans avoir installé la mafia aux USA, en ces années 20, pour une éternité et tué des centaines de personnes pour rien.
Inrockuptibles
Aujourd’hui, l’Histoire va t elle se répéter pour la prohibition du cannabis ? Certes, les Inrockuptibles ont remplacé les Incorruptibles et il n’est pas question de faire tomber LE chef du gang cannabis, mais de parler bien plus prosaïquement économie, équilibre budgétaire, PIB et retraites. Le rapport de Terra Nova, à la Une du Monde, nous propose de gagner deux milliards d’euros en régularisation la vente de THC .
Cet espoir économique est le bienvenu tant les autres approches (sanitaires/sécuritaires/Droits de l’Homme) ont échoué en France pour en finir avec une politique prohibitionniste qui n’a pas atteint – loin de là – ses objectifs de protection de l’individu et de la société qu’elle s’était fixée.
Echec
La prohibition du cannabis est un échec. Tout le monde -ou presque- le reconnaît, y compris et surtout le principal promoteur historique de cette bien triste et coûteuse stratégie : les Etats-Unis.
Quatre-vingts ans après avoir imposé au monde entier (peu de temps après l’arrêt de leur prohibition de l’alcool), à coups de conventions internationales, leur dogmatisme répressif sur l’usage du cannabis, les USA ont basculé depuis peu du coté du coté de la légalisation. Pour raisons économiques.
Le marché, hautement taxable, est estimé à un ou deux milliards de dollars par l’Etat, soit une manne minimale de plus de cent milliards de dollars pour les USA. Manne à laquelle il faut ajouter, d’une part, l’économie importante des frais de police, de justice et des dizaines de milliers d’incarcérations inutiles et, d’autre part, le coût social plus difficilement mesurable de l’insécurité des villes engendrée par le trafic et des morts qu’elle génère.
As usual
Lorsque nous avons vu, à SoS Addictions, ce revirement américain, l’un de nous a dit : « Bon, il n’y a plus qu’à attendre ! Nous ferons en France, as usual, ce que les Américains font…mais dans dix ans et en moins bien. » Se trompait-il sur le timing , notre collègue ?
Rien n’est moins sûr car le sujet demeure politique avant d’être économique et bien plus secondairement, hélas et à tort, sanitaire.
Pour imposer de grands changements sociaux (l’abolition de la peine de mort) ou médicaux et sociaux (la dépénalisation de l’avortement) il faut (outre des lobbys mobilisateurs et organisés) un socle d’acceptation sociale, un contexte politique favorable et surtout un messager politique crédible, habile et déterminé. N’est pas Badinter, Mitterrand ou Simone Veil qui veut…!
« MSF »
La prohibition est un échec et la légalisation sera une réussite économique. La légalisation mettra fin à des vies judiciairement brisées et enrichira notre pays plutôt que « Mafia sans frontières ». Je n’en doute pas. Mais nous sommes bien placés en France, avec les 130 000 morts prématurées ou évitables par an (dues au tabac et à l’alcool) pour savoir que la loi ne peut pas tout dans le domaine des conduites addictives. Sauf quand elle anticipe ou s’accompagne d’un volet sanitaire très solidement budgétisé.
Frileux pays
Ce fut le cas pour le jeu et les paris en lignes avec la loi Woerth, remarquablement frappée au coin du pragmatisme économique mais accompagnée d’un projet d’observatoire et de prévention digne de ce nom.
La démocratie permettant d’appeler les choses par leur nom, disons le : le rapport de Terra Nova est une excellente nouvelle, une vraie pierre à l’édifice d’une nouvelle politique des addictions dans notre frileux pays.
Mais un bémol s’impose : si nous ne faisons ce mouvement que pour des raisons économiques, sans l’accompagner d’un puissant programme sanitaire en direction des adolescents et des jeunes adultes, la réussite ne sera qu’économique. Et ce sera une autre forme d’échec. On peut le dire autrement : si nous gagnons deux milliards avec la régularisation du cannabis, mettrons-nous un milliard pour le volet sanitaire ? »
Dr William Lowenstein
Président de SoS Addictions