Cannabis : fumée blanche pour idées vertes à l’Assemblée
Alors que l’Agence nationale de sécurité du médicament vient de valider le cadre d’expérimentation retenu pour le cannabis médical, une mission d’information parlementaire sur les différents usages du cannabis a été lancée dans la foulée.
Battre le fer tant qu’il est chaud. C’est l’adage retenu par les parlementaires à l’initiative de la mission d’information sur les différents usages du cannabis. Réunis à l’Assemblée nationale pour un colloque autour du «chanvre bien-être» et ses produits garantis sans psychotropes, parlementaires et professionnels du milieu ont accueilli avec moult applaudissements l’annonce de la validation du cadre d’expérimentation du cannabis médical retenu par l’Agence du médicament.
Le débat porte autour du cannabis bien-être et du cannabidiol (CBD), une molécule non psychotrope plutôt bien vue par l’Organisation mondiale de la santé, qui a déclaré dans une étude de juin 2018 que «les preuves actuelles montrent que le cannabidiol n’est pas susceptible d’être dangereux en cas de surconsommation, ni de créer une dépendance comme pour les autres cannabinoïdes». A l’origine de la mission d’information parlementaire autour du cannabis, le député LREM de la Creuse Jean-Baptiste Moreau rappelle l’urgence de l’affaire : «Depuis un an et demi nous travaillons sur l’usage médical, le bien-être mais aussi le récréatif. La situation actuelle se résume en trois mots : inadmissible, inhumain et idiot, s’enflamme le député creusois, également agriculteur-éleveur à la ville. Les premiers à me parler du sujet sont les syndicats de police et les gendarmes, qui en ont marre de courir après les fumeurs de shit […].»
«Le cannabis bien-être n’a pas de statut aujourd’hui»
Entre la France et le chanvre, l’histoire est ancienne. Des fouilles archéologiques dans le Puy-de-Dôme ont montré que l’utilisation des fleurs de cannabis remonte à près de deux mille ans. On retrouve également des traces de sa culture dans la région de Marseille, autour de la fameuse Canebière – qui doit d’ailleurs son nom au cannabis. Mais au fil des politiques de prohibition, la fleur de chanvre, aux vertus médicinales, a été supprimée de la culture française. Et si l’Hexagone est aujourd’hui le premier producteur de chanvre industriel en Europe, c’est avec l’interdiction d’utiliser et de transformer la fleur de chanvre, chargée en principes actifs.
Au niveau international, le marché du cannabis, qu’il soit récréatif ou de bien-être, est en ébullition. La filière française n’attend qu’un avis légal pour se lancer et se positionner dans une économie prometteuse. Extrait principalement de la fleur de cannabis, le CBD est tributaire d’une réglementation française qui n’autorise pas explicitement son utilisation, alors que le droit européen l’autorise. Selon Béchir Bouderbala, juriste spécialisé en droit des drogues, «l’intérêt de la mission d’information réside surtout dans la nécessité de clarifier cette réglementation autour du CBD. Il faut apporter une définition claire et précise car il y a une opposition entre deux sources de droit : la France qui ne veut pas réglementer, et un droit européen qui impose la commercialisation. En France, le cannabis bien-être n’a pas de statut aujourd’hui».
Les professionnels et les avocats présents dans l’auditoire déplorent le flou juridique existant. La législation et les produits bien-être sont mal connus des autorités et les poursuites diffèrent d’un territoire à l’autre. Benjamin Jeanroy, conseiller du Syndicat professionnel du chanvre : «Cela crée une inégalité devant la loi. L’urgence est du côté des patients pour le thérapeutique et du côté des agriculteurs pour le bien-être, car ils doivent trouver de nouveaux débouchés. Il est aussi important de mettre en place un cadre pour les entrepreneurs français qui se retrouvent aujourd’hui avec des années de procédure judiciaire à gérer.»
«Plus d’emplois dans la distribution que dans l’agriculture»
Invité à se prononcer sur les retombées économiques d’un futur marché du cannabidiol, Pierre-Yves Geoffard, directeur d’études à l’EHESS et favorable à la mise en place d’une filière légale, décrit un «sujet passionnant» : «On assiste à un bouleversement de la politique publique et la construction d’un marché, pointe-t-il. Selon Forbes, le marché du CBD représentera un milliard de dollars en 2020. Selon nos sources, il atteindra 4 milliards. Ça va créer plus d’emplois dans la distribution que dans l’agriculture. Avec une production à un euro le gramme et un prix de revente à 10 euros, vous voyez la marge ?» interroge-t-il dans un sourire complice.
Pour les agriculteurs présents dans la salle, la culture du chanvre peut constituer une réponse aux crises écologiques et agricoles qui frappent le secteur. Jouany Chatoux, éleveur sur le plateau de Millevaches, s’est positionné sur le cannabis médical dès l’annonce du plan particulier pour la Creuse, fin 2017 : «La situation est compliquée pour nous. Les gens mangent moins de viande qu’avant et on continue de travailler 70 heures par semaine pour des revenus qui sont bas.» Dans sa ferme, il vend des huiles et compléments alimentaires au CBD qui proviennent de Suisse. «Avec cinq habitants au km2, il n’y a pas grand monde dans la Creuse. Mais beaucoup de personnes viennent acheter les produits CBD et la moyenne d’âge est autour de 70 ans. Pour être compétitif en France, il faut qu’on puisse utiliser la fleur, autoriser le bouturage et ajouter de nouvelles variétés au catalogue autorisé.»