Les patients et des membres du Comité scientifique en colère face au retard pris par l’expérimentation du cannabis thérapeutique
09/09/2020
Après l’euphorie, la désillusion, et après la désillusion, la colère… Les associations et membres du Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) mis en place par l’ANSM ont exprimé leurs craintes dans les colonnes du Parisien et lors d’une conférence de presse face au retard pris par l’expérimentation du cannabis thérapeutique normalement prévue pour débuter en janvier 2021.
Monté en septembre 2018, le CSST, mis en place à la demande de la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, avait conclu dès décembre 2018 à la pertinence d’une expérimentation du cannabis thérapeutique dans cinq indications : douleurs réfractaires, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, soins de support en oncologie, soins palliatifs et spasticité douloureuse liées aux maladies neurodégénératives.
Le comité a ensuite défini le périmètre de l’expérimentation (3 000 places ouvertes pendant 2 ans) et ses outils : cahier des charges à l’intention des fournisseurs de produit, formation en ligne des soignants, registre destiné à collecter des données en vie réelle, etc. « Nos travaux n’ont pas été freinés par le Covid », insiste le Pr Nicolas Authier, chef du service d’évaluation et de traitement de la douleur du CHU de Clermont-Ferrand et président du CSST.
Sans argent, la difficile question des fournisseurs
Le lancement de l’expérimentation se heurte à deux obstacles : l’absence d’un financement dédié par le ministère des Solidarités et de la Santé et le retard pris dans la publication du décret déléguant à l’ANSM l’organisation d’un appel d’offres visant à sélectionner les fournisseurs des produits contenant du THC et du CBD, conformes aux préconisations du CSST, connues depuis juin 2019.
Attendu au mois de mars dernier, le décret est actuellement entre les mains du Conseil d’État. Son retard est jugé inexplicable par Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paul-Valéry de Montpellier. « C’est un décret qui n’est vraiment pas compliqué à rédiger, explique-t-il. Mais il fait l’objet de différents arbitrages politiques, administratifs et financiers. »
L’absence d’un financement dédié est tout aussi problématique. « D’après les échanges que nous avons eus avec le ministère, il y a eu un arbitrage autour d’un budget de… 0,00 euro », se désole le Pr Authier. Faute d’une ligne budgétaire du ministère, c’est l’ANSM qui devra financer l’expérimentation, selon un chiffrage qui reste à établir selon l’agence consultée par « Le Quotidien ».
« Sans financement, il faudra obtenir la gratuité des produits de la part des producteurs », précise le Pr Authier. Un assentiment difficile à obtenir de la part d’entreprises, par ailleurs toutes étrangères puisque la loi française interdit l’extraction, la transformation et la vente de produits issus de plante de cannabis contenant plus de 0,2 % de THC. « Avec la gratuité, l’État va perdre une partie du contrôle de l’expérimentation au profit des fournisseurs », prédit Yann Bisiou.
Les patients consommateurs très fragilisés
« Les patients et les associations sont en colère. Les malades et leurs proches risquent à tout moment d’être condamnés pour usage de stupéfiant, voire pour exercice illégal de la médecine, explique Bertrand Rambaud, président du collectif Alternative pour le cannabis à visée thérapeutique (ACT). J’ai dû à plusieurs reprises fournir des copies de mes anciennes ordonnances et des adresses de boutiques à l’étranger à des médecins qui souhaitaient prescrire du cannabis thérapeutique. Il est urgent de lancer une formation accessible au-delà de l’expérimentation ! »
Présent lors de la conférence de presse, l’ancien ministre de la Santé Bernard Kouchner se souvient avoir ordonné une première mission sur le cannabis thérapeutique en 2002. Il regrette le peu d’avancées depuis. « Tous les pays autour de nous utilisent le cannabis thérapeutique, constate-t-il. Normalement, il n’y a pas besoin de réexpérimenter, mais comme dans tous les médicaments, il y a une sorte de nationalisme du produit de santé qui est terriblement pénible. »
La lenteur du dossier de l’expérimentation, qui ravive le souvenir des difficultés rencontrées dans d’autres dossiers liés à l’addiction (mise sur le marché du Sativex, expérimentation des salles de consommation à moindre risque), exaspère d’autant plus les associations que la mise en place rapide de l’amende forfaitaire pour usage de stupéfiant a récemment démontré que le gouvernement pouvait forcer l’allure s’il le voulait.
« Le dossier des expérimentations du cannabis thérapeutique est bloqué depuis les années 2000. Les salles de consommation à moindre risque se voient imposer 6 ans d’expérimentation très contrôlés, s’emporte Jean-Pierre Couteron, ancien président de la Fédération addiction. Pour cette amende, tous les critères d’évaluation sont tombés ! Sa mise en place a été financée et généralisée au bout de 3 mois d’expérimentations incomplètes. Il y a là un problème d’exemplarité des politiques publiques ! »
Le CSST doit prendre fin en décembre prochain, et le moral de ses membres est au plus bas. « Si l’année se termine sans décret ni financement, il n’est pas dit que le comité soit reconduit, prédit le Pr Authier. Et si c’est le cas, je sais que moi je n’y retournerais pas ! »