Cannabis médical : l’expérimentation française prend du retard
Nicolas Authier
En octobre 2019, l’actuel ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, alors député, présentait devant l’Assemblée nationale le texte qui allait devenir l’article 43 de la loi N°2019-1446 de financement de la Sécurité sociale pour 2020.
Cet article donne notamment la possibilité à l’État d’autoriser, dans le cadre d’une expérimentation de politique publique, l’usage médical du cannabis sous la forme de produits répondant aux standards pharmaceutiques. Il s’agit de l’aboutissement de deux ans de réflexion menées en France sur la pertinence scientifique et les modalités d’accès à des produits pharmaceutiques à base de cannabis, destinés à des malades chroniques dont les souffrances ne peuvent pas – ou peu – être soulagées par d’autres moyens.
L’expérimentation de cette solution devait débuter en septembre 2020. Malheureusement, l’épidémie de Covid-19, mais aussi de probables arbitrages politiques et administratifs, ont bouleversé son calendrier : en juin dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé son report « au plus tard en janvier 2021 ».
Expérimentation : mode d’emploi
Cette expérimentation concernera a minima 3000 patients souffrant de douleurs chroniques neuropathiques, de contractions musculaires douloureuses (chez des malades atteints de sclérose en plaques ou avec des lésions médullaires), d’épilepsies résistantes, de complications liées aux cancers et aux chimiothérapies, ainsi que des personnes en situation palliative.
Compte tenu des données scientifiques disponibles, la prescription de ces médicaments sera réservée à des patients pas – ou mal – soulagés par les thérapeutiques accessibles. Ce ne seront pas des médicaments de première intention, car ils n’ont pas démontré une efficacité équivalente ou supérieure aux médicaments existants.
L’accès des patients à l’expérimentation se fera directement par les structures hospitalières spécialisées où ils sont soignés. Ce sont leurs personnels qui assureront les premières prescriptions. Les malades pourront aussi être adressés à ces structures dans certaines indications par leur médecin traitant. La dispensation de ces médicaments se fera soit par les pharmacies hospitalières soit par les pharmacies de ville.
Pour pouvoir que cette expérimentation puisse commencer rapidement, les médicaments utilisés seront fournis par des producteurs étrangers qui en proposent déjà, sous la forme de capsules, d’huiles ou de fleurs séchées en fonction des différentes indications retenues.
En effet, la production française n’est pas encore possible, car la culture du cannabis à des fins médicales n’est pas autorisée.
Quel est le but de cette expérimentation ?
L’objectif principal de cette expérimentation n’est autre que de valider les circuits de prescription et de dispensation de tels produits. Ce qui n’a rien d’exceptionnel pour des professionnels de santé qui manient déjà d’autres médicaments stupéfiants au quotidien, dont certains plus à risque de dépendance voire de surdose.
Elle sera aussi l’occasion, si des moyens financiers adaptés lui sont attribués, de former un plus grand nombre de médecins et pharmaciens, dans l’optique d’une généralisation de l’emploi de ces médicaments. Enfin, cette expérimentation permettra d’obtenir une évaluation scientifique complémentaire à grande échelle.
Il faut souligner également que, si la vocation de ce projet d’expérimentation est de permettre une généralisation de l’accès à ces produits aux standards pharmaceutiques, ce processus est totalement indépendant du sujet de la légalisation d’autres finalités d’usage du cannabis. Autrement dit, l’usage médical de cette substance n’a pas vocation à être le cheval de Troie d’une quelconque légalisation du cannabis à usage dit « récréatif », par exemple.
Cette démarche ne doit pas dépendre non plus des arbitrages relatifs à l’autorisation de la culture du cannabis en France ni de la mise en place de productions françaises dédiées à ces premières prescriptions, au risque de prendre plusieurs années de retard.
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Un décret d’application toujours en attente
De très nombreux pays européens expérimentent ces médicaments à base de cannabis, ou ont déjà autorisé leur utilisation. C’est notamment le cas du Luxembourg, de l’Allemagne, de l’Italie, de la Suisse, de l’Irlande ou de la Grande-Bretagne.
En France, l’accès aux médicaments contenant du cannabis thérapeutique a été jugé scientifiquement pertinent dès décembre 2018 par le premier comité scientifique de l’ANSM. Pourtant, deux ans plus tard, les produits aux standards pharmaceutiques à base de cannabis ne sont toujours pas accessibles aux patients.
En effet, si la loi a bien été adoptée, le décret d’application correspondant est attendu depuis plusieurs mois. Or, sans ce décret, il est impossible de mettre en œuvre cette expérimentation, car ces produits restent illicites, et l’étape cruciale de la sélection et de l’autorisation des médicaments qui seront prescrits aux patients ne peut être réalisée.
La question du financement de cette expérimentation de politique publique est également cruciale. Elle impliquera en effet des milliers de professionnels de santé qui devront être formés. Il faudra également financer l’achat des produits et dispositifs utilisés dans le cadre de ces essais. Or pour l’instant, aucun financement dédié ne semble prévu. Cette apparente absence de financement met la France en situation de dépendance face à des acteurs privés étrangers. Notre pays dépend de fait de leur bon vouloir de fournir gracieusement leurs produits et dispositifs médicaux.
Un retard qui questionne sur la volonté politique de mettre réellement en place cette expérimentation à grande échelle. Et ce, alors même que de nombreux patients en souffrance sont en attente de pouvoir essayer des solutions complémentaires dans le cadre d’un accompagnement médical, pour enfin soulager leurs maux chroniques et invalidants.
Pour en savoir plus :
– La foire aux questions de l’ANSM sur le cannabis médical.
– La tribune co-signée dans le quotidien Le Parisien par des membres du comité scientifique de l’ANSM travaillant sur l’accès au cannabis médical ainsi que de très nombreux représentants d’associations de patients et de sociétés savantes.