Dissiper la fumée entourant le cannabis : Effets du cannabis pendant la grossesse – version actualisée
Amy J. Porath, Ph.D., Directrice, Recherche, CCDUS
Sarah Konefal, Ph.D., Analyste, Recherche et politiques, CCDUS
Pam Kent, Ph.D., Directrice associée, Recherche, CCDUS
Centre Canadien sur les dépendances et l’usage de substances, 2018
Le présent rapport est le deuxième d’une série sur les effets du cannabis sur divers aspects du fonctionnement et du développement de la personne.
Révision d’un rapport précédent, il aborde les effets sur l’enfant et les jeunes adultes de la consommation
de cannabis pendant la grossesse et fait état des nouvelles recherches qui valident et approfondissent nos connaissances sur la question. Les autres rapports, eux, portent sur les effets de l’usage chronique sur le fonctionnement cognitif et la santé mentale, le cannabis au volant et les troubles respiratoires causés par le cannabis. Cette série s’adresse à un large public, notamment les professionnels de la santé, les décideurs et les chercheurs.
Points clés
• Le cannabis est la substance illicite la plus souvent consommée pendant la grossesse.
• Les composés du cannabis peuvent passer dans le lait maternel pendant la lactation, puis sont absorbés et métabolisés par le nourrisson.
• L’usage fréquent de cannabis pendant la grossesse est associé à un faible poids à la naissance et est l’un des facteurs de risque liés à d’autres issues défavorables de la grossesse.
• L’exposition au cannabis avant la naissance et pendant la petite enfance peut nuire au développement neural et avoir des effets néfastes sur la cognition et le rendement scolaire.
• Les effets se font aussi sentir sur le comportement des enfants et des jeunes adultes : troubles de l’attention, hyperactivité et impulsivité, et risque accru d’usage de substances.
• Les professionnels de la santé ont besoin d’information sur les effets du cannabis pendant la grossesse pour pouvoir conseiller leurs patientes et ainsi améliorer la santé et le bien-être de ces patientes et de leurs enfants.
Contexte
Après l’alcool, le cannabis (aussi appelé marijuana) est la substance psychoactive la plus consommée au Canada. Selon l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues (ECTAD) de 2015, 12,3 % des Canadiens âgés de 15 ans et plus ont déclaré en avoir pris au moins une fois en 2015 (Statistique Canada, 2016a), soit une hausse par rapport aux 10,6 % de 2013. L’usage de cannabis est généralement plus répandu chez les jeunes : en 2015, le taux d’usage dans la dernière année était de 20,6 % chez les jeunes de 15 à 19 ans, et de 29,7 % chez les jeunes adultes de 20 à 24 ans. Ajoutons qu’environ 24 % des Canadiens âgés de 15 ans et plus qui ont pris du cannabis au cours des trois derniers mois ont déclaré en consommer tous les jours ou presque. En avril 2017, le gouvernement du Canada a déposé le projet de loi C-45 pour encadrer la production, la distribution et la vente légales de cannabis. Ce projet de loi a comme principaux objectifs de protéger la santé et la sécurité publiques par l’établissement d’exigences en ce qui a trait à l’innocuité et à la qualité des produits, de restreindre l’accès des jeunes au cannabis, de décourager les activités criminelles et d’alléger le fardeau du système de justice pénale.
Selon un nombre croissant de données, le cannabis nuirait à plusieurs sphères de la vie des personnes touchées, notamment la santé mentale et physique, les fonctions cognitives, la capacité à conduire un véhicule et le développement des enfants avant et après la naissance. Le présent rapport – volet d’une série sur les effets du cannabis sur divers aspects du fonctionnement et du développement de la personne (voir Beirness et Porath, 2017; McInnis et Plecas, 2016; Kalant et Porath, 2016; McInnis et Porath, 2016) – aborde les effets de l’exposition prénatale au cannabis sur les enfants, dont l’issue de la grossesse, le développement neurocognitif, le comportement et la santé mentale des enfants.
Le rapport analyse d’abord les données disponibles, puis les incidences sur les politiques et les pratiques. La principale source d’information sur le sujet, ce sont trois études de cohorte prospectives longitudinales sur les effets qu’a le cannabis consommé pendant la grossesse sur le développement et le comportement de l’enfant (voir le tableau 1). Comme ces trois études adoptent une méthodologie prospective longitudinale, plutôt que rétrospective, elles suivent le même groupe de mères et d’enfants sur une longue période. Cette pratique permet d’évaluer avec fiabilité le degré d’exposition au cannabis, le moment où a eu lieu l’exposition et une foule d’indicateurs relatifs au mode de vie (p. ex. l’état de santé de la mère, sa situation socioéconomique et sa consommation de drogues autres que le cannabis) pendant la grossesse et d’analyser les écarts qui surviennent dans le comportement et le fonctionnement des enfants au fil du temps. De son côté, l’étude rétrospective permet de comparer des groupes de participants aux paramètres développementaux légèrement différents, puis de tirer des conclusions, après avoir évalué l’exposition, à un moment quelconque, à des facteurs de risque potentiels (dont l’usage de cannabis).
Seuls les effets du cannabis inhalé pendant la grossesse ont été évalués. Consommer le cannabis dans des produits comestibles ou avec un vaporisateur élimine certes les risques associés à l’inhalation, mais le bébé est encore exposé à ses composés psychoactifs (Colorado Department of Public Health and Environment, 2017). À ce jour, aucune étude n’a évalué les risques associés à la prise de cannabis par un mode d’administration autre que l’inhalation.
Les divergences notées dans les issues de grossesse et de développement entre les études pourraient être attribuables à la hausse de la puissance du cannabis dans les dernières décennies (ElSohly et coll., 2016; Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, 2017; Mehmedic et coll., 2010; University of Mississippi, National Center for Natural Products Research, 2013). Cette possibilité est d’autant plus plausible quand on compare l’Étude prospective prénatale d’Ottawa (Ottawa Prenatal Prospective Study, ou OPPS) et le Projet sur les pratiques relatives à la santé maternelle et le développement de l’enfant (Maternal Health Practices and Child Development, ou MHPCD) et l’étude Generation R, plus récente, car il se peut que les enfants participant à cette dernière étude aient été exposés à un niveau de Δ9 tétrahydrocannabinol (THC) plus élevé. D’autres facteurs de risque maternels, plus souvent remarqués chez les femmes consommatrices, pourraient cependant fausser les conclusions tirées sur les effets de l’exposition prénatale au cannabis. Parmi ces facteurs, notons une mauvaise alimentation, un mauvais état de santé physique et mentale, un statut socioéconomique faible et l’usage d’autres substances illicites, en plus de la consommation d’alcool et de tabac. Il est possible, particulièrement avec les études longitudinales rétrospectives, d’éliminer ces facteurs et donc de faire ressortir les associations directes avec l’exposition prénatale.
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CCSA-Cannabis-Maternal-Use-Pregnancy-Report-2018-fr