Le cannabidiol, un agent thérapeutique prometteur ?
Benjamin Rolland , Mathieu Chappuy, Patrizia Carrieri
SWAPS, 3e et 4e trimestre 2019, n° 92-93, , 5-6.
Deuxième cannabinoïde le plus étudié après le THC, sans effet psychoactif, le cannabidiol dispose de propriétés thérapeutiques intéressantes, notamment en psychiatrie. Le point sur les recherches
La grande famille des cannabinoïdes
Les cannabinoïdes sont un ensemble de substances capables d’activer les récepteurs du même nom (« récepteurs cannabinoïdes »). Il existe deux grandes familles de récepteurs cannabinoïdes, CB1 et CB2. Dans le système nerveux central, c’est surtout CB1 qui est exprimé, alors que CB2 est principalement présent dans le système immunitaire. Au sein des substances cannabinoïdes, on distingue généralement d’un côté les phytocannabinoïdes, issus du cannabis, et de l’autre les cannabinoïdes de synthèse, qui ont fait leur apparition depuis le milieu des années 2000, et qui sont entièrement synthétisés chimiquement.
Le tétrahydrocannabinol (THC) découvert en 1964 par les chimistes de l’institut Weizmann (Israël) est le phytocannabinoïde le plus connu. Il est responsable des principaux effets du cannabis, effets sédatifs bien sûr, mais aussi effets de modification de la perception sensorielle de la réalité, et effets de parasitage du filtre attentionnel qui procure aux usagers ce sentiment de devenir capables de faire des analogies et des associations d’idées qui ne sont pas naturelles. Aujourd’hui, ce sont plus d’une centaine de phytocannabinoïdes plus ou moins actifs qui ont été décrits dans les diverses variétés du Cannabis sativa.
Le cannabidiol : un cannabinoïde atypique mais pas un «cannabis light »
Le cannabidiol (CBD) est un autre composé naturel du cannabis connu depuis les années 1940. Pendant très longtemps, toutefois, on a considéré que le CBD n’était pas un cannabinoïde, car il n’avait pas d’action sur les récepteurs cannabinoïdes, et d’ailleurs pas d’action psychotrope du tout. Mais, dès les années 1970, les effets antiépileptiques du CBD ont été découverts. Entre les années 1980 et 2000, un grand nombre d’effets propres au CBD sont mis en évidence.
Sur le plan neuropsychiatrique, le CBD révèle des effets anxiolytiques et surtout antipsychotiques. Il bloque en effet les effets psychotiques du THC. Ainsi, au cours des années 2000, un certain nombre d’études montrent que la dangerosité du cannabis en matière de vulnérabilité psychotique est directement reliée au rapport THC/CBD.
Rapidement, le CBD est testé comme antipsychotique dans des essais cliniques. Il a montré des effets prometteurs pour réduire les symptômes psychotiques, mais aussi pour limiter les atteintes cognitives induites par le cannabis et réduire le risque de transition vers une schizophrénie chez des sujets à risque fumeurs de cannabis1.
Le CBD fait également l’objet de recherches actives dans d’autres champs de la psychiatrie, en particulier dans le domaine de la dépression ou de l’anxiété2.
Le CBD semble agir comme un modulateur allostérique faible du récepteur CB1, ce qui explique son action clinique, bloquant celle du THC. À ce titre, le CBD est donc un cannabinoïde atypique, peu actif, et d’action plutôt antagoniste sur les récepteurs. Le surnom de « cannabis light », qui a parfois été donné au CBD, est donc particulièrement inadapté. Ce nom suggérerait que le CBD fait pareil que le cannabis, mais en moins intense. Au contraire, le CBD a une action qui, prise isolément, est très éloignée de celle du cannabis. Comme on le verra plus loin, il semble également que le CBD n’a pas la dangerosité
du cannabis, notamment à cause du THC, en particulier pour les risques psychiatriques et addictologiques.
Le cannabidiol neuroprotecteur
La « vraie » action du CBD semble se trouver ailleurs qu’au niveau des récepteurs au cannabis. Le CBD semble en effet capable d’activer un certain nombre de récepteurs dits « nucléaires », des récepteurs situés dans le noyau des cellules, et qui une fois activés, viennent réguler l’expression des gènes, en particulier les voies de l’inflammation et de l’oxydoréduction. Cette propriété explique pourquoi le CBD fait l’objet d’importantes recherches dans le domaine du cancer et des maladies inflammatoires. Mais le CBD pourrait aussi jouer un rôle de modulateur inflammatoire au niveau cérébral, et ainsi avoir un potentiel de neuroprotection particulièrement important chez l’homme.
Pour cette raison, le CBD fait l’objet de recherches actives dans les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer3. Les effets neuroprotecteurs du CBD peuvent également justifier son évaluation dans la dépression et l’anxiété, troubles dont on sait qu’ils sont à l’origine de processus d’inflammation cérébrale participant à l’apparition et à l’entretien de la symptomatologie. À ce stade toutefois, le CBD n’a démontré aucun effet majeur dans ces différentes pathologies, et il ne peut être considéré que comme un agent prometteur. Il faudra définitivement attendre le résultat des études en cours avant de conclure que le CBD va révolutionner ou non le champ des maladies neuropsychiatriques2.
L’usage du cannabidiol dans le champ addictologique
Le CBD est de plus en plus étudié dans le champ des addictions. Bien sûr, il a d’abord fait l’objet d’études dans l’addiction au cannabis. Ces études ont cherché à voir dans quelle mesure le CBD pouvait être utilisé en « substitution » au cannabis, sur le modèle de ce qui existe dans le domaine des opioïdes, avec l’utilisation des traitements de substitution comme la méthadone ou la buprénorphine. Dans cette utilisation particulière, en l’absence de THC associé, le CBD ne semble pas particulièrement efficace pour favoriser l’arrêt ou la réduction de l’usage de cannabis2. L’association THC/CBD en revanche, semble prometteuse dans une perspective de substitution4.
Les perspectives thérapeutiques du CBD pourraient avoir une application particulière dans la dépendance à l’alcool. Dans des modèles animaux d’alcoolodépendance, l’administration de CBD permet de diminuer la consommation d’alcool et de réduire les niveaux d’anxiété5. Par ailleurs, le CBD permet de diminuer les processus d’atteinte hépatique liée à l’alcool et pourrait également limiter, par ses propriétés de neuroprotection,
les atteintes cérébrales et cognitives de l’alcool chez les sujets atteints d’alcoolodépendance. En France, une importante étude nationale a fait l’objet d’un financement par le ministère de la Santé. Cette étude, baptisée CARAMEL (Cannabidiol for Reducing the use of Alcohol and Modyfying the Effects of alcohol on the Liver and the brain), sera menée en parallèle à Lille et à Lyon, et elle devrait démarrer courant 2020.
Le cannabidiol traité comme «stupéfiant»
Le CBD extrait des plants de cannabis contient généralement moins de 1% de THC associé. C’est suffisant pour qu’il soit considéré comme un stupéfiant. Alors qu’il est assez facilement accessible en vente libre en magasins spécialisés ou sur Internet, le CBD fait également l’objet d’une procédure réglementaire dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché comme médicament des épilepsies réfractaires, sous le nom commercial d’Epidiolex®. Dans cette perspective, l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) considère que « les conditions de prescription et de délivrance devront donc respecter la réglementation des stupéfiants »6. Cette décision est particulièrement étonnante car le CBD a montré un très faible potentiel d’abus en population clinique7, constat qui est conforme à ses propriétés pharmacologiques évoquées plus haut.
Le CBD semble payer le prix de son origine. Bien qu’il n’ait pas d’activité psychoactive similaire à celle du THC et qu’il n’entraîne pas de risque addictif connu à ce jour, il est décrit par certains médias comme un « cannabis light » et traité comme stupéfiant par l’ANSM. Cette méfiance, injuste au vu du profil pharmacologique et clinique du produit, risque de ralentir les recherches et l’accessibilité
de la molécule pour les patients concernés.
Elle n’existe pas dans de nombreux autres pays qui ont fait le choix de considérer le CBD comme une molécule de faible niveau de risque, avec un potentiel thérapeutique élevé.
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