Introduction, 24e Journées du RESPADD “Usages thérapeutiques des cannabinoïdes”, session du GRECC, dr Christian Sueur, 26 juin 2019

Introduction, 24e Journées du RESPADD “Usages thérapeutiques des cannabinoïdes”,

Session du GRECC,

Docteur Christian Sueur,

26 juin 2019, Paris

 

Bonjour

Bienvenu à toutes et à tous

Merci d’être venus aussi nombreux à ce premier colloque co-organisé par le GRECC et le RESPADD sur le thème du Cannabis Thérapeutique, ou, de façon « dépassionnée », sur les Usages Cliniques des Cannabinoïdes.

Je veux tout d’abord remercier Nicolas Bonnet, Anne Borgne et le RESPADD de nous avoir invité à leur colloque annuel, de nous avoir donné offert cette première demie journée, et d’avoir invité de nombreux intervenants que nous avons proposés pour ces 2 jours de rencontres cannabiques.

 

Le GRECC (Groupe de Recherches et d’Etudes Cliniques sur les Cannabinoïdes) est une jeune association, que nous avons créé il y a un peu plus d’un an, afin de favoriser le développement du cannabis thérapeutique en France.

Notre ambition est de collectiviser les connaissances tant pharmacologiques que neurobiologiques, thérapeutiques et cliniques, historiques, anthropologiques, sociologiques et juridiques, vis à vis du cannabis et de ses usages, au travers de l’étude de la littérature internationale, de l’histoire des usages thérapeutiques du cannabis, et au delà, des substances psychédéliques, et ce, en lien avec notre expérience clinique ancienne en addictologie, et à nos liens avec les associations d’auto-support, ou de malades, faisant usage de longue date du cannabis pour soulager leurs souffrances, ou améliorer leur santé vis à vis de leurs pathologies.

A l’origine, nous étions quelques médecins psychiatres et addictologues, Dr Rodolphe Ingold, Dr Bertrand Lebeau, moi même, qui avons œuvré dans le champ des addictions et de la Réduction des Risques, avec d’autres acteurs, en particulier Anne Coppel, (sociologue et membre fondatrice du GRECC), et les militants fondateurs du CIRC, de Principes actifs, et d’ASUD.

Notre intérêt pour le cannabis n’est pas nouveau, il remonte au siècle dernier, à partir des années 70 pour Rodolphe Ingold, des années 80 pour moi, et pour Bertrand Lebeau… Nous ont alors rejoint progressivement d’autres médecins, pharmaciens, biologistes, historiens, anthropologues, sociologues, chercheurs et praticiens…

Afin de favoriser l’utilisation du cannabis en France, nous rédigeons des articles de synthèse, nous publions une large littérature internationale sur notre site www.grecc.org, et nous participons à des colloques conférences partout où on nous le propose. A terme, nous souhaitons favoriser, et participer à la mise en place d’essais cliniques avec différents cannabinoïdes et dans différentes pathologies, ainsi que faire bénéficier la médecine des observations empiriques mais souvent pertinentes des utilisateurs auto-thérapeutiques.

 

Dans l’histoire de la pharmacologie, on retrouve de nombreux exemples de substances ayant été utilisées largement, parfois telles des panacea, à certaines époques, puis qui ont été négligées, oubliées ou interdites, à la suite de constations de leur inefficacité relatives, ou de leur dangerosité.

Le cannabis est l’exemple certainement le plus démonstratif de ces substances largement utilisées puis oubliées, mais là, ce n’est pas en fonction de sa dangerosité, ou au contraire de son inutilité ; certes, le fait que, au milieu du siècle dernier, comme l’on méconnaissait ses principes actifs, les phytocannabinoïdes, leur extraction et leurs dosages étaient impossibles, et au contraire des alcaloïdes de l’opium, de la coca, ne s’est pas retrouvé approprié à la pharmacologie moderne.

Mais, essentiellement, si le cannabis n’appartient plus à notre pharmacopée moderne, ce n’est pas en rapport à ses usages et « performances » en thérapeutiques, mais du fait d’interdictions législatives qui n’ont rien à voir avec son utilisation thérapeutique.

 

On ne refera aujourd’hui toute l’histoire de la prohibition du cannabis, depuis le Marijuana Tax Act aux USA dans les années 1930, qui, à l’époque, constituent de véritables lois racistes « anti-noirs », jusqu’à l’inscription du cannabis sur la liste des stupéfiants lors des Conventions Internationales de New York en 1961, là encore, plus que pour des raisons essentiellement politiques, discriminatoires, qu’en lien avec les capacités psychotropes du THC.

Ce THC a par la suite été progressivement considéré comme trop dangereux pour la population, et, en s’accompagnant d’une stratégie de propagande mettant en avant des dimensions négatives très discutables en matière de Santé Publique, le « biopouvoir », comme dirait Michel Foucault, pour des raisons de « contrôle social », a alors eu « besoin » que la médecine dresse un véritable tableau à charge contre cette plante jusque là plutôt « bien vue » dans la plus des pays du monde où elle est utilisée depuis plus de 4500 ans, et ce en mettant en exergue sa dangerosité sur une très petite minorité d’utilisateur, au détriment de ses capacités thérapeutiques et de son innocuité pour le plus grand nombre des utilisateurs.

Ce n’est véritablement qu’à partir de la publication aux USA en 1993, par les docteurs Grinspoon et Bakalar, du livre intitulé « Cannabis, la médecine interdite », qu’une frange au début très limitée du monde médical, s’est mise à s’intéresser à nouveau aux capacités thérapeutiques du chanvre ; la publication par l’Académie des Sciences Américaine, en 1999, d’un rapport évoquant pour la première fois, très officiellement, les usages thérapeutiques du cannabis, puis le Rapport Parlementaire Canadien de 2001, constituent ensuite deux dates importantes, par rapport au « retour en grâce » du cannabis, auprès des médecins.

Dans le même temps, dans le champ de la neurobiologie, à partir des travaux historiques de Raphael Méchoulam, des chercheurs de plus en plus nombreux, ont successivement identifié un certain nombre de phytocannabinoïdes dans le chanvre (le THC, le cannabidiol (CBD), le cannabichromène (CBC), le cannabigerol (CBGM), le tetrahydro-cannabivarine (THCV) etc…, , puis les 2 premiers endocannabinoïdes dans l’organisme humain, (l’anandamide et le 2-AG, 2-arachidonoyl-glycerol), et surtout, ils ont commencé à mettre en évidence l’importance du système endocannabinoïde dans l’organisme, tant au niveau cérébral, principal organe où se concentrent les récepteurs CB1, que dans tous les autres organes du corps, où se concentrent plutôt préférentiellement les récepteurs CB2, ainsi que les liens entre ce système cannabinoïde, et les autres systèmes neuro-endocriniens (récepteur 5HT1A, récepteurs GABA, NMDA etc…).

 

Depuis le début de ce siècle, des médecins et des chercheurs de plus en plus nombreux revendiquent le retour du cannabis dans la pharmacopée, et, parallèlement, mettent en cause le régime de prohibition qui interdit son usage, et qui interdisaient aussi toute application pratique et thérapeutique des avancées du savoir neurobiologique sur le système endocannabinoïde.

Des Pays se sont montrés en avance sur le mouvement mondial, qui actuellement valide le retour du cannabis dans le champ thérapeutiques : certains Etats américains, l’Uruguay, Israël, la Hollande, le Canada sont parmi les pionniers, et la France se caractérise par sa place de petite dernière, dans le concert des nations « occidentales ».

 

Mais les choses sont en train de changer en France.

Qu’est-ce donc que le cannabis thérapeutique ?

Il s’agit:

  • d’une part du cannabis (ou « chanvre indien »), c’est à dire une plante qui contient de nombreuses molécules à des taux très variables suivant les variétés, des cannabinoïdes (près de 200 molécules identifiées à ce jour), mais aussi des terpènes (plus de 300) et de flavonoïdes ; ces trois types de molécules semblent avoir des actions très variées lors de leur introduction dans l’organisme ;
  • il s’agit également des cannabinoïdes « pharmaceutiques », qu’ils soient issus de la plante le nabiximol, connu sous le nom de Sativex ® (THC + CBD), ou l’Epidiolex ® (CBD), ou qu’il s’agisse de cannabinoïdes de synthèse (comme par exemple le dronabinol (Marinol ®) ou le nabilone (Cesamet ®), qui sont des THC synthétiques).

Le Cannabis thérapeutique, existe aussi au travers de « l’acte de prescription » : ces cannabinoïdes, ou ces extraits de plantes, dès qu’ils sont prescrits par un thérapeute, en fonction d’une indication, d’une pathologie clairement identifiée, ou d’un symptôme, d’un état de souffrance physiologique ou psychologique, quittent leur statut de « toxique » pour devenir « médicament ».

Au plan de leur représentation collective, et de leur emploi dans la médecine allopathique moderne, le cannabis thérapeutique constitue une sorte de mutation, d’une substance jusque là considérée comme toxique, classée parmi les stupéfiants (encore aujourd’hui, le cannabis est considérée dans la législation internationale comme substance « dénuée d’effet thérapeutique »), à une substance pouvant présenter des vertus thérapeutiques pharmacologiquement identifiées.

 

Les récentes positions de l’OMS et du Parlement Européen, en faveur du développement du cannabis thérapeutique, devraient avoir tout d’abord pour effet de modifier les conventions internationales de 1961 sur ce classement du cannabis, et de ses composants, dans le champ des « stupéfiants sans intérêt thérapeutique ».

Le CBD, étant, lui, resté « dans l’ombre » du THC, et n’ayant pas été directement incriminé comme toxique, et ce, eu égard à son activité soit disant « non psychotropique », constitue d’une certaine manière la « locomotive » de ce changement de représentation, et du retour du cannabis dans le champ de la pharmacopée.

 

Grâce aux avancées de la recherche neuropsychopharmacologique, on se rend compte aujourd’hui, que les capacités thérapeutiques du cannabis tiennent autant, si ce n’est plus, à l’association de ces trois types de molécules, cannabinoïdes, terpènes et flavonoïdes (ce que l’on appelle « l’effet d’entourage » au niveau de la plante entière), qu’à l’effet individuel de chacun des composants considérés de façon isolée.

 

Cette découverte de la neurobiologie et de la pharmacologie modernes, va dans le sens de justifier le retour, parallèlement à la mise en place d’essais clinique et à l’utilisation du cannabis thérapeutique dans les indications « classiques », de l’herboristerie, car la science nous incite fortement à ne pas se limiter à un projet pharmacologique « étriqué » qui tournerait autour de l’administration de quelques associations de cannabinoïdes tels le CBD et le THC.

 

Le Comité Scientifique Temporaire Spécialisé (CSST) mis en place en septembre 2018 par le Ministère de la Santé, présidé par le Pr Nicolas Authier, a aujourd’hui permis l’élargissement de la liste des pathologies susceptibles de bénéficier du cannabis thérapeutique, au delà de la seule indication de traitement de la spasticité dans la sclérose en plaque : en effet, il y a déjà 4 ans que le précédent ministère (à l’époque de Marisol Touraine), avait promulgué une AMM pour le Sativex® dans cette indication. Mais les tutelles n’avaient pas accepté son remboursement par la sécurité sociale, dans cette indication, sous prétexte que les bénéfices thérapeutiques étaient insuffisamment démontrés.

Seul, le Marinol® a véritablement été testé dans la Sclérose en plaque, chez des patients en neurologie de ville, sous le régime de l’ATU individuelle, et nous verrons, avec le Dr Sarah Lejczak quels enseignements ont peut tirer de son étude, lors de notre première plénière de ce matin.

Le CSST est désormais en train de préparer l’accès à d’autres « préparations pharmaceutiques » et à favoriser la mise en place d’expérimentations et d’essais cliniques, dans d’autres indications, que les quelques situations évoquées lors de son premier avis de novembre dernier.

Manifestement, nous en saurons plus le 26 juin prochain, sauf si Nicolas Authier nous fait la faveur de nous préciser ce que sera son intervention à cette date.

 

Les deux principaux enjeux, dans ce travail pour faire exister « le cannabis thérapeutique » dans notre pratique médicale quotidienne, sont donc les suivants :

  • Est-ce que cette plante, et ses dérivés, qui sont utilisés depuis des milliers d’années dans de très nombreuses indications, peuvent à nouveau être « réappropriée » par la médecine, la pharmacie et l’herboristerie », après 60 ans de prohibition, précédée de 4500 d’usage, dans la plupart des sociétés humaines.
  • Et d’autre part, est-ce que la législation va évoluer dans le sens d’une décriminalisation de l’usage du cannabis dans la société, et l’autorisation de la production individuelle, ou la légalisation d’une mise en vente libre contrôlée de la plante, comme c’est le cas depuis le mois de novembre 2018 au Canada, afin d’autoriser de fait, ce que certains appellent le « cannabis bien être », constitué essentiellement d’espèces de chanvre riches en CBD et plus pauvres, voir même le « cannabis récréatif », qui s’apparente lui aussi, d’un point de vue « existentiel » à une pulsion, et une capacité pour l’individu, à se faire du bien, à partir du moment où il ne nuit pas à autrui. Et il est aujourd’hui prouvé que le cannabis (en dehors du système prohibitionniste), n’est pas un facteur de violence ou de nuisance sociale, et qu’il s’associe à une problématique pathologique existentielle (addiction), ou psychopathologique, que dans une infime minorité des cas.

 

Enfin, la mise en place du « cannabis thérapeutique » sera l’occasion de favoriser, aussi bien dans les usages gérés par la médecine ou la pharmacie, que dans tous les autres usages, « auto-thérapeutique », de « bien être » ou « récréatif », des pratiques de réduction des risques, essentiellement en réduisant la dimension « fumée » de la plante, au profit d’autres formes de consommation que ce soit dans le cadre médical, ou autre (vapotage, inhalation, spray transmuqueux, voie orale, percutanée, ou en suppositoire…) afin de réduire les effets négatifs liés à la combustion sur les poumons et les autres organes.

 

Cette première demie journée de notre rencontre, va nous permettre d’aborder, successivement :

  • avec le Dr Sarah Lejczak, son expérience de prescription du Marinol® avec des patients de ville en neurologie, dans la sclérose en plaque, et dans certaines douleurs neuropathiques.
  • puis, le Pr Rima Nabbout, de l’Hôpital Necker, nous fera part des enseignements liés à sa participation à l’étude multicentrique coordonnée par le professeur Orin Devinsky, sur le traitement avec du CBD, d’épilepsies infantiles « résistantes », tels les syndromes de Lennox-Gastaud et de Dravet,.
  • Ensuite, avec les Drs Roland Tubiana et Fabienne Caby de l’Hôpital Pitié-Salpétrière, nous envisagerons les pistes actuelles de traitement, que permet le cannabis thérapeutique, sur la qualité de vie des patients VIH (effets orexiques, antiémétiques, antalgiques, anxiolytiques et antidépresseurs….), ainsi que les recherches sur les effets stimulateurs de l’immunité, et sur les effets anti-inflammatoires et neuro-protecteurs des cannabinoïdes, qui pourraient, selon certains chercheurs, participer de la lutte pharmacologique contre l’infection VIH.
  • Enfin, je vous ferai un résumé des éléments cliniques apportés par les « expérimentations familiales » anglo-saxones, et les recherches universitaires les plus récentes, concernant les effets positifs des cannabinoïdes dans la prise en charge thérapeutique d’enfants et d’adolescents autistes qui s’automutilent, et plus généralement, à propos de l’intérêt thérapeutiques des cannabinoïdes dans les Troubles Envahissants du Développement.
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