Du LSD ou de l’ecstasy pour traiter la maladie mentale
Un cachet, une séance, des effets qui perdurent. Grosso modo, telle est la promesse des psychiatres qui travaillent sur le développement de traitements recourant à des drogues psychédéliques pour soigner des troubles de santé mentale. Plutôt que d’apaiser les symptômes de la maladie mentale, ces substances servent à « reconnecter » le cerveau. Si elles étaient légalisées dans un contexte médical — et c’est ce qui semble en train de se dessiner —, une petite révolution pourrait secouer la psychiatrie.
Fin octobre, la Food and Drug Administration (FDA) américaine octroyait le statut de « traitement révolutionnaire » à la psilocybine (l’ingrédient actif des champignons magiques) pour soigner la dépression récalcitrante. En 2017, c’était la MDMA (lire ecstasy) qui bénéficiait du même classement conçu pour accélérer les procédures réglementaires, cette fois-ci afin de combattre les états de stress post-traumatique. Des études cliniques de phase 3, les dernières avant la mise en marché, sont actuellement en cours avec la MDMA dans plusieurs villes du monde, notamment à Montréal. Le LSD a quant à lui été l’objet d’un essai clinique il y a quelques années afin d’évaluer son potentiel pour atténuer des cas d’anxiété graves.
Bref, on assiste présentement à « une recrudescence de la thérapie psychédélique » dans le monde de la recherche, observe Jean-Sébastien Fallu, professeur en psychoéducation à l’Université de Montréal et spécialiste en toxicomanie. « En regardant les anecdotes, mais surtout les études, on voit des résultats étonnants, remarque-t-il. Ce qui m’impressionne le plus, c’est l’ampleur de l’efficacité du traitement chez certains patients auparavant récalcitrants aux soins.
S’en prendre aux causes
La MDMA, le LSD ou la psilocybine sont administrés lors de séances de psychothérapie de plusieurs heures, pendant lesquelles des thérapeutes accompagnent le patient dans ses réflexions psychédéliques. En théorie, après seulement une, deux ou trois envolées supervisées, le patient est débarrassé de son affection. Ainsi, contrairement à ce qui arrive avec les médicaments conventionnels contre l’anxiété ou la dépression consommés quotidiennement, le patient ne connaît pas d’effets secondaires indésirables. De plus, les drogues psychédéliques ne produisent pas de dépendance physiologique, et rarement de dépendance psychique.
« La MDMA et la psilocybine facilitent la psychothérapie parce qu’elles permettent au patient d’être davantage connecté à ses émotions », résume Gabriella Gobbi, professeure au Département de psychiatrie de l’Université McGill. La substance ne se substitue pas à la psychothérapie, elle en multiplie les effets, explique-t-elle.
La MDMA dope l’empathie chez les patients. Elle provoque la libération d’ocytocine, une hormone impliquée dans le tissage de liens sociaux, et de sérotonine, un neurotransmetteur qui régule les humeurs. En plus de cela, elle diminue l’activité cérébrale dans l’amygdale, une région du cerveau associée à la peur. La combinaison d’effets permet au patient souffrant de stress post-traumatique de reconsidérer son souvenir troublant sans être submergé par des émotions négatives.
La psilocybine, elle, bloque un récepteur de sérotonine, ce qui a comme conséquence effective d’augmenter la concentration du neurotransmetteur dans le cerveau. Il s’ensuit une perturbation des sens, de l’euphorie, et une diminution de l’activité dans l’amygdale — ce qui contribue à rétablir l’optimisme du patient dépressif. L’action du LSD, qui se lie aussi aux récepteurs de sérotonine, est similaire.
Tempête contrôlée
Tandis que les antidépresseurs ou les anxiolytiques interfèrent avec certains neurotransmetteurs au quotidien, le LSD, la psilocybine et la MDMA provoquent une tempête dans l’esprit qui, si elle est domptée, donne une perspective renouvelée. « La thérapie psychédélique semble régler la cause des problèmes plutôt que les symptômes », explique Jean-Sébastien Fallu.
« Avec les substances psychodyslexiques [qui altèrent les perceptions], le cerveau devient plus réceptif, entre dans un mode créatif, s’ouvre à des expériences nouvelles. Elles peuvent créer des expériences positives, quand il y a normalement de l’autodestruction », explique Philippe Vincent, professeur agrégé de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. « Le patient peut ensuite se référer à ces nouvelles expériences positives, à ces nouveaux réflexes. Toutefois, ça peut déraper aussi, avertit le pharmacien. Le choix de la dose est très important. »
En effet, la prise de substances psychédéliques peut déclencher une psychose si la dose est inadéquate ou si la personne est naturellement prédisposée à ces crises. « La semaine dernière, une de mes patientes* est venue me voir après s’être rendue aux États-Unis pour suivre une thérapie psychédélique où on lui a donné de la MDMA, raconte Gabriella Gobbi. Toutefois, elle n’avait pas averti le psychiatre là-bas qu’elle avait déjà souffert d’une psychose. Comme de fait, une nouvelle psychose s’est déclenchée à cause de la substance et la patiente a dû être hospitalisée. »
« Si une personne est prédisposée, les risques de déclencher une psychose sont très grands », note la spécialiste. De plus, ajoute-t-elle, les personnes éprouvant déjà des problèmes de santé mentale sont plus souvent vulnérables aux psychoses que la moyenne des gens. Ces risques invitent à la plus grande prudence, pense Gabriella Gobbi.
La psychiatre croit que la thérapie psychédélique devrait être cantonnée à des diagnostics pour l’instant incurables. « Personnellement, je ne crois pas qu’on devrait encourager la thérapie psychédélique pour les maladies pour lesquelles on dispose déjà d’un traitement efficace, comme l’anxiété ou la dépression. Cependant, pour les états de stress post-traumatique ou l’alcoolisme sévère, envers lesquels rien ne fonctionne vraiment, ça peut être plus intéressant. »
« Dans les psychothérapies, les gens veulent mieux comprendre leurs émotions, développer leur empathie, se soulager de leurs souffrances, avance la docteure et professeure à l’Université McGill. Or, certaines personnes ont une difficulté intrinsèque à le faire. La MDMA et la psilocybine pourraient les aider à y arriver, mais il ne faudrait pas utiliser ces substances avec les patients qui n’en ont pas réellement besoin. »
Changer son mode de vie
Si la thérapie psychédélique a pour principe d’aider les gens à adopter un nouveau regard sur leur santé et leur mode de vie, est-il vraiment nécessaire de recourir à la drogue pour y arriver ? « Est-ce faisable sans la prise de substance ? C’est ce que les études essaient de nous dire, et c’est pourquoi elles incluent des sous-groupes auxquels on administre des placebos, répond Jean-Sébastien Fallu. Mais ce questionnement s’applique à toute la pharmacopée, de toute façon. »
En fait, le mécanisme d’action de la thérapie psychédélique est difficile à cerner. Est-ce le changement de mentalité qu’entraîne la thérapie qui permet au patient de se libérer de ses démons, ou bien la réorganisation de ses connexions cérébrales ? « On n’a pas de réponse à cette question, et on n’en aura probablement jamais vraiment, pense M. Fallu. Il est difficile de séparer la psyché et le cerveau. C’est sûrement une combinaison des deux. »
« Quand des gens malades vont passer six mois dans la forêt amazonienne, qu’ils prennent de l’ayahuasca [une substance hallucinogène] et qu’ils font de la méditation, il est difficile de dire si c’est vraiment la substance active qui a réglé leurs problèmes de santé mentale », ajoute-t-il.